LA DEPORTATION, L’INTERNEMENT ET LA MORT DE ALINE SITOË DIATTA EN 1944

logo sud quotidien.jpg

PAR IBRAHIMA MAIGA

aline_s_diatta.jpg

A seulement 24 ans, le destin de Aline Sitoë Diatta s’est accompli tragiquement à Tombouctou en 1944. Elle y avait été condamnée à purger une peine d’internement de dix ans ; elle n’a pas tenu un an, victime du scorbut

Ibrahima MAIGA | Publication 24/04/2021

A seulement 24 ans, le destin de Aline Sitoë Diatta s’est accompli tragiquement à Tombouctou en 1944. Elle y avait été condamnée à purger une peine d’internement de dix ans ; elle n’a pas tenu un an, victime du scorbut. A Tombouctou, la mémoire locale n’a pas gardé d’elle beaucoup de souvenirs . Par contre, au Sénégal, le débat sur le rapatriement de ses restes est encore d’actualité dans un contexte où l’engagement mémoriel toise la lecture politique.

On en sait beaucoup sur Gbéhanzin , Samori, Chérif Hamahoullah, tous capturés et brandis comme des fauves de foire avant d’être déportés dans des territoires aux conditions climatiques rudes ; en Martinique, en Guinée, en Côte d’Ivoire, en Mauritanie, au Gabon, à Madagascar, au Soudan français,… S’y ajoute le flot d’assignation à l’intérieur de chacun des territoires colonisés par la France, la « grande nation des droits de l’Homme ». C’était l’époque des « camps d’internement », des « camps d’enfermement administratif » et même des « camps de concentration » sous les tropiques, dans l’ombre de la deuxième guerre mondiale !

Aline Sitoë Diatta, elle, a été « affectée » au Soudan français. D’armes, elle n’avait que son intelligence ! De munitions, elle n’avait que son charisme, et son verbe ! Elle n’a pas été jugée par un tribunal, car l’administration n’a jamais pu réunir contre elle des preuves. Elle a cependant été condamnée à « internement administratif à titre préventif » parce que son engagement en faveur de l’autonomie et de la renaissance de son peuple dérangeait. Mue par une force intérieure propre à l’univers animiste des diolas de la Casamance, Aline était tout simplement un leader. Elle avait des pouvoirs mystiques.

Le Lieutenant-Colonel Sajous, Commandant du cercle de Ziguinchor, à l’époque des faits, donne un portrait de Aline en ces termes : « Servie par le prestige d'avoir procuré aux Diolas un hivernage très pluvieux gage d'une excellente récolte de riz et succédant à une année 1941 sèche, elle prescrivait à son entourage de féticheurs de ne pas obéir aux Blancs, de leur refuser les hommes pour le service militaire, de ne pas accepter les achats obligatoires de paddy, de ne pas entretenir les routes » (Archives d'outre-mer d' Aixen-Provence, 14 MI 1835 2G 42, Rapport politique du Sénégal). Ce court extrait résume la volonté du colonisateur d’en finir avec elle. Ces propos seront confortés par Christian Roche, un historien, le dernier proviseur français du lycée de Ziguinchor, dans un article intitulé « Chronique casamançaise.

Le cercle de Ziguinchor au Sénégal pendant la guerre de 1939-1945 » ( Revue des Outre- Mères, revue d’histoire, 1986) . D’après Roche, parce que justement Aline avait une aura et un discours nationaliste, qui débouchait sur une sorte de subversion, le Lieutenant-Colonel Sajous a décidé « de frapper les imaginations ». Pour le militaire français, Aline Sitoé pouvait être considérée comme « l'inspiratrice des troubles » ayant secoué la Casamance. Cette déduction était suffisante pour justifier qu’il se rende en mission dans la zone d’évolution de Aline. Sajous est d’une grande barbarie. Il tue, frappe et menace de mettre le feu à tous les villages. Pour couper court à cette barbarie qui s’abattait sur des innocents, Aline a préféré se rendre. Roche précise que cet évènement a lieu le 31 janvier vers midi. « … la jeune prophétesse, appuyée sur des cannes en raison d'une infirmité congénitale, vint se livrer aux Français afin d'éviter toute effusion de sang », rapporte l’historien. Mais Sajous n’est pas content. Il veut humilier la nationaliste et la gifle ; ce qui ne passe pas .

Captive désormais, elle prend la direction de Ziguinchor en même temps que certains de ses proches, entre 20 et 23 personnes. Elle sera condamnée à la déportation. Dans un premier temps, elle est à Kayes. Elle finira par Tombouctou. L’historien sénégalais Papis Comakha Fall qui a travaillé sur les mêmes faits « Automne-hiver 2020 » (page 19, n° 9-10 ), insiste sur le caractère pacifique de la lutte engagée par Aline Sitoë Diatta. Malgré tout, l’armée française avait décidé de la réduire en silence avec la consigne suivante : « faire respecter les ordres, arrêter les rebelles et mettre fin par la force, à toute tentative de rébellion jusqu’à la soumission complète ». (Télégramme lettre n° 31 adressée au gouverneur général de l’AOF, Saint Louis, 22 janvier 1943). Dès lors, les mobiles ne devaient plus être compliqués. Ils seront condensés en trois points : « mensonges, escroquerie et rébellion ». Pour Roche, Aline a été condamnée « administrativement », parce qu’elle tenait un « message religieux qui préconisait un retour au riz rouge, au lieu du riz blanc recommandé par les Français, par sa prédiction que les Blancs partiraient un jour… . ».

La condamnation devenait possible du seul fait de l’application du décret colonial du 15 novembre 1924, une des illustrations du régime de l’indigénat. La volonté qui sous-tendait l’invocation de ce texte qui autorisait tous les abus était qu’ « il importe au plus haut point pour le retour de la tranquillité dans le pays que la visionnaire Aline Sitoë Diatta et ses adeptes soient écartés pour longtemps des lieux où ils ont exercé leur emprise ». ( Rapport d’ensemble tendant à faire interner la dame de Kabrousse, Aline Sitoë Diatta et ses principaux adeptes, 1943). L’autorité coloniale parle de la « rebellion d’Effok et des villages environnants qui croient, à la lettre, aux promesses que ( Aline) leur avaient faites » ( Archives Nationales du Sénégal, Rapport d’interrogatoire du 15 mars 1943). Aline Sitoë est donc coupable. Sur sa condamnation-même , nous n’avons pas trouvé meilleure source que Papis Fall. Il écrit que Aline Sitoë a été condamnée le 15 juin 1943, par un Arrêté général du Gouverneur. Le prononcé de l’acte admnistratif précise qu’il s’agit d’une peine de « dix ans de réclusion à passer dans le cercle de Kayes ». ( procès verbal d’interrogatoire du 15 mars 1943). On retrouve donc la trace de Aline à Kayes, mais pour quelques temps seulement.

L’administration a soudainement pris la décision de durcir les conditions de détention de la prisonnière en l’envoyant à Tombouctou. Le 27 août 1943, est pris l’arrêté qui fixe désormais son lieu de détention à Tombouctou. ( Histoire d’Aline Sitoë : mourir à Tombouctou, Soleil, mardi 11 octobre 1983, p.2). On sait maintenant que le « voyage » de Aline a été préparé à partir de Kayes. De Kayes, elle a embarqué dans un train pour Bamako et de Bamako à Koulikoro, le terminus du « Dakar-Niger » . De Koulikoro, elle a pris un bateau pour Tombouctou. Pour bien comprendre ce qui est arrivé à Aline Sitoë Diatta, il faut se placer dans le contexte de la deuxième guerre mondiale ; une guerre qui a ébranlé la France, dans ses fondements. En un quart de tour, Hitler a occupé Paris.

La France est divisée entre ceux qui pensaient qu’il fallait collaborer avec l’occupant nazi (Vichy, Pétain et consorts) et ceux qui appelaient à la résistance ( De Gaulle et alliés). La défaite de la France a eu un écho énorme dans les colonies. Mais la « puissance » ne voulait pas montrer de faiblesse. Les administrateurs fidèles à Vichy vont s’évertuer à briser toute forme de résistance locale. C’est dans ce contexte qu’il faut situer les évènements qui vont placer au devant de la scène Aline Diatta et Chérif Hamaoullah, entre 1941 et 1943. Voilà, pourquoi Aline a été mise aux arrêts et déportée à Tombouctou. La symbolique est forte. Aline Sitoë provient d’un milieu fondamentalement animiste. La condamner et l’interner à Tombouctou, une ville pieuse musulmane, était un autre supplice. Les colonisateurs ont apparemment vite réussi leur besogne. La résistante vivra à peine un an.

LA POLEMIQUE ET LA RECUPERATION

Le rapatriement des restes de Aline Sitoë est toujours de haute importance politique et stratégique au Sénégal. La question avait été soulevée depuis, sous le Président Senghor, dans la ligne de mire de l’indépendance du pays en 1960. Sans succès. Le 15 décembre 2011, une décision du Conseil des ministres du Sénégal s’est emparée du sujet. On y lit que : « Le Chef de l'Etat a, …, tenu à faire une déclaration solennelle sur sa volonté de faire rapatrier les restes de l'héroïne nationale Aline Sitoë DIATTA, très jeune résistante, enlevée puis déportée à Tombouctou au Mali où elle est décédée et enterrée dans un petit cimetière ….. Il a déjà obtenu l'autorisation du Président du Mali pour un éventuel rapatriement des restes d'Aline Sitoë DIATTA.

A cet effet, le Chef de l'Etat a instruit le Conseil de mettre en place une Commission, présidée par le Dr Christian Sina DIATTA et composée d'historiens, de chercheurs et de cadres casamançais, qui devra, suivant ses instructions, se rapprocher des autorités coutumières et religieuses de la Basse - Casamance, notamment, le Roi d'Oussouye et les autorités de Cabrousse, afin de solliciter leur avis. En cas d'avis contraire, le Président de la République a indiqué que le Sénégal demandera au Mali une concession pour y édifier un symbole digne du rang de notre héroïne nationale. » (Communiqué du conseil des ministres du Sénégal, 15 décembre 2011). Depuis, plus rien, jusqu’en 2019. Cette année-là, le militant des droits de l’homme, Alioune Tine a « reveillé » le dossier de Aline Sitoë. Il venait d’effectuer une mission à Tombouctou ; mission au cours de laquelle il a pris certaines informations.

Tine a placé son plaidoyer au plus haut niveau politique en interpellant directement le Président Macky Sall et Abdoulaye Baldé, le maire de Ziguinchor. Que dit Tine ? « Nous demandons solennellement au Président de la République Macky Sall et le maire de Ziguinchor Abdoulaye Balde de prendre toutes les initiatives diplomatiques opportunes auprès de leurs homologues maliens pour que le corps de Aline Sitoë Diatta soit rapatrié à Cabrousse auprès des siens », a-t-il lancé, sur sa page électronique. « Le Sénégal doit absolument promouvoir la mémoire de cette héroïne qui a été déportée comme d'autres résistants africains au colonialisme, comme Samory Touré, Serigne Cheikh Bamba Mbacké. », a-t-il ajouté. Ses arguments, il les tire encore de l’histoire, car « ne pas honorer la mémoire de Aline Sitoë, c'est comme la punir une deuxième fois après sa déportation, en confinant sa tombe dans un anonymat infamant.'' !

Ainsi donc, Alioune Tine entendait réussir une grande « mobilisation de l'opinion pour rapatrier au Sénégal la dépouille de l'héroïne Aline Sitoë Diatta enterrée de façon anonyme au milieu de nulle part à Tombouctou » ! Alioune Tine donne des informations capitales de façon pathétique. Il écrit : « Elle a été enterrée devant sa maison, juste devant le lit d'une rivière asséchée, pratiquement seule au monde ». « Les inscriptions en arabe sur sa tombe ont été effacées par les groupes armés djihadistes. La tombe est gardée par une famille musulmane très pieuse…. ». Il affirme avoir pu se recueillir sur la tombe

…. LES NECESSAIRES RECOUPEMENTS

Sur ce chapitre, il convient de relativiser le cri de coeur de Aliou Tine, car les faits se présentent autrement à Tombouctou. Tine et les autres sources, dont certaines sont encore vivantes, ne sont pas concordantes sur la matérialité des faits se rapportant à la mort de Aline Sitoë Diatta. Tine s’est, peut-être recueilli sur une tombe qui n’était pas celle de la grande dame de Casamance. Papis Fall reste toujours notre principale source d’information. Il est d’une grande précision dans le déroulement des faits qu’il écrit, que Aline a été placée dans « le camp des internés ». Aujourd’hui, cette place est occupée par l’école fondamentale qui porte le nom de « Bahadou Boubacar ».

Saloum Ould Elhaj, un instituteur et un historien de Tombouctou, d’une grande réputation confirme ces propos. Il nous a précisé, au cours d’une conversation téléphonique, que l’école « Bahadou Ben Boubacar » dont il s’agit est l’ancienne « école nomade » de Tombouctou ; école qui a connu des enseignants illustres comme Modibo Kéïta, le futur président de la République du Mali. Dans le camp des internés, rapporte Fall, Aline sera mise à l’isolement. Elle qui vient de la forêt va manquer de fruits. Sa santé ne va pas tarder à se dégrader. Elle est transférée au dispensaire local où elle va rendre l’âme, le 22 mai 1944. Elle a souffert du scorbut, une avitaminose sévère. La date du 22 mai est aussi celle qui a été communiquée, dans un rapport, par le président Abdou Diouf, sur la base d’une enquête menée à Tombouctou en 1989. Cependant, Jean Girard qui a travaillé de façon indépendante sur le même sujet ( « Genèse du pouvoir charismatique en Basse Casamance (Sénégal) », (Institut fondamental d'Afrique noire », (1969) avance une autre date qui se situerait en 1946. Mamadou Nkruma Sané, un des leaders du mouvement indépendantiste casamançais ne retient pas lui aussi la date du 22 mai, comme celle de la mort de Aline. Il penche pour 1945, car , soutient-il, à cette date, il dispose d’informations , notamment un rapport médical qui recommandait à l’administration coloniale de libérer Aline et son mari.

Aline, dit Sané, n’était même pas morte. Ses assurances, les voici : « Je peux vous confirmer qu’elle est vivante quelque part puisque son mari qui est plus âgé qu’elle n’est disparu qu’aux environs de 1998. La reine avait été arrêtée les 28-29 janvier 1943. Elle n’avait que 23 ans. En plus, elle n’a jamais été déclarée morte par ceux qui l’ont arrêtée et l’ont incarcérée à Tombouctou. C’està-dire l’autorité coloniale de l’époque. C’est cette même autorité coloniale qui a produit le document que je mets à votre disposition. Lequel document me dit qu’elle a été libérée vivante avec son mari et le reste des Casamançais qui étaient emprisonnés avec elle à Saint-Louis, Matam, Podor et Kayes. C’est elle seule qui n’a pas pu regagner sa terre natale.

Par contre son mari est rentré. Vous verrez le décret colonial qui avait motivé son arrestation et le second décret qui avait donné l’autorisation de la libération des détenus politiques casamançais arrêtés pendant la période coloniale. » ( Wal fadjiri, 2007, repris sur le site du Soleil, 26 décembre 2007). Sur la mort même de Aline Sitoë Diatta, Saloum Ould Elhadj est catégorique. Il parle de la consignation de ce décès dans le registre de la mairie de Tombouctou, document aujourd’hui malheureusement disparu depuis l’entrée barbare des djihadistes dans la ville en 2012. Saloum Ould El Hadj et plusieurs autres sources qui ont travaillé sur l’identification de la tombe de Aline Sitoë sont formels.

Aline repose, non pas au bord d’un quelconque ruisseau, mais bien au cimetière qui porte le nom de Sidi El Ouaffi Araouani, sis à Sarey Keyna, à quelques pas seulement du dispensaire où a été constaté le décès de la « dame de Kabrousse ». Du reste, se demande Saloum Ould Elhadj : « pourquoi l’enterrer au bord d’un ruisseau alors qu’il y a un cimetiere à moins de cent mètres ? » Saloum Ould Elhaj a les preuves de son affirmation en la personne de Gobi, à l’époque, Maçon du cercle de Tombouctou. C’est à ce titre, qu’à l’aide de quelques prisonniers, il a procédé à l’inhumation du corps. Cette version locale est crédible. Elle détruit littéralement les assertions de Alioune Tine qui dans son plaidoyer, affirme que « Aline a été enterrée devant sa maison, juste devant le lit d'une rivière asséchée, pratiquement seule au monde.

Les inscriptions en arabe sur sa tombe ont été effacées par les groupes armés djihadistes.La tombe est gardée par une famille musulmane tres pieuse qui nous a révélé que Aline Sitoé Diatta est considérée comme une sainte dans la ville aux 333 saints qu'est Tombuctou ». Outre Saloum Ould Elhadj, nous avons également pris contact avec Modibo Sidibé, un enseignant natif de Tombouctou. Modibo Sidibé qui a effectué de solides études en histoire est diplômé de l’Ecole Normale Supérieure de Bamako, promotion 1985. Il est très engagé dans la vie de la communauté. Au cours d’une entretien téléphonique, il nous a donné une confirmation irréfutable de l’existence d’une tombe au nom de Aline Sitoë Diatta à Sareykeyna. Au cours d’une visite, il a été surpris de constater qu’une stèle avait été posée sur un emplacement qui jouxtait une des tombes qu’il était venu visiter dans le cimetière cité.

La stèle était récente. Donc, Aline repose bien à Tombouctou et non « au mileu de nulle part ». L’épitaphe dit ceci : « Ici repose Ainsétou Assétou, Aline Sitoé Diatta, Décédée 29 Mai 1944 à Tombouctou ». Bien sûr que cette annotation induit de nouvelles interrogations. La première est relative au nom « Ainsétou Assétou ». Est-ce le nom par lequel, la résistante a été adoptée à Tombouctou ? Il y a une sorte d’homophonie qui peut soutenir cette hypothèse. La deuxième porte sur la date du décès de la personne. L’épitaphe parle du 29 mai, alors que les documents évoqués avant retiennent la date du 22 mai 1944. C’est dire que la confusion n’est pas encore à son terme. Il reste que la jeunesse de Tombouctou ne sait quasiment pas qui a été Aline Sitoë Diatta, qu’est ce qui l’a conduit ici et comment elle est passée dans la postérité mémorielle de son pays.

Au Sénégal, plusieurs infrastructures porte son nom : des écoles, des stades, une résidence universitaire, le ferry qui relie Dakar à Ziguinchor,….

Le sens de son combat doit être entretenu et évoqué dans la mémoire, car plus que la Casamance et le Sénégal, Aline est une combattante de la liberté pour l’Afrique. Elle ne se battait pas pour les femmes, mais pour son peuple. Il ne faut jamais perdre de vue qu’elle a été une victime, elle aussi, des partisans de Vichy. Elle est une preuve de la négation des droits de l’homme, tout court. La ville de Tombouctou pourrait ériger un monument en la mémoire de cette héroïne. Ne s’agit- il pas ici aussi d’un autre bien culturel ? Cela, au nom de la légendaire fraternité qui lie Tombouctou à la grande communauté sénégalaise, bien au-delà de la colonisation française. En témoignent la broderie, la musique, les arts culinaires, les échanges religieux…

*Paru dans L’Essor, le Quotidien national d’information du Mali, « Supplément culturel », du 12 mars 2021

DOCUMENTS CONSULTÉS

Archives d'outre-mer d' Aix-en-Provence, 14 MI 1835 2G 42, Rapport politique du Sénégal Archives Nationales du Sénégal, Rapport d’interrogatoire du 15 mars 1943 Christian Roche, Chronique casamançaise. Le cercle de Ziguinchor au Sénégal pendant la guerre de 1939-1945, Outre- Mères, revue d’histoire, 1986 Communiqué du conseil des ministres du Sénégal, 15 décembre 2011 Jean Girard, intitulé : Genèse du pouvoir charismatique en Basse Casamance (Sénégal), 'Institut fondamental d'Afrique noire (Ifan), 1969 Le Soleil , Histoire d’Aline Sitoe : mourir à Tombouctou, , mardi 11 octobre 1983, p.2 Papis Comakha Fall, « Automne-hiver 2020 » (page 19, n° 9-10) Télégramme lettre n° 31 adressée au gouverneur général de l’AOF, Saint Louis, 22 janvier 1943

LES TIRAILLEURS , CES OUBLIES DE L'HISTOIRE COLONIALE

Tirailleurs sénégalais en faction dans le maquis algérien pendant la guerre d'Algérie. © ECPAD

Tirailleurs sénégalais en faction dans le maquis algérien pendant la guerre d'Algérie. © ECPAD

Liens sur Le Point Afrique :

https://www.lepoint.fr/afrique/docu-tele-france-5-les-derniers-tirailleurs-racontent-25-09-2020-2393653_3826.php

https://www.lepoint.fr/afrique/tierno-monenembo-tirailleurs-le-grand-reveil-de-l-histoire-africaine-de-la-france-09-09-2019-2334381_3826.php

https://www.lepoint.fr/afrique/un-heros-sort-de-l-ombre-charles-n-tchorere-venu-du-gabon-mort-pour-la-france-19-08-2014-1859196_3826.php

https://www.lepoint.fr/afrique/histoire-tirailleurs-une-memoire-vivante-13-11-2017-2172088_3826.php

Docu télé – France 5 : « Les Derniers Tirailleurs » racontent

À partir de témoignages d'anciens tirailleurs sénégalais, ce film jette une lumière crue sur une page sombre de l'histoire de France.

Par Le Point Afrique Publié le 25/09/2020

Les tirailleurs sénégalais sont au cœur de l'histoire de France depuis 1857. C'est cette année-là que les généraux Faidherbe et Mangin créent à Saint-Louis du Sénégal la Force noire. Ils ont participé à toutes les phases de la conquête coloniale en Afrique, puis à celle de Madagascar, vers 1890, et à ce qu'on a appelé la « pacification » du Maroc, à partir de la fin du XIXe siècle.

D'un effectif de 15 000 personnes, en 1914, ils étaient déjà 200 000 personnes et ne venaient plus seulement du Sénégal mais de toutes les nations africaines dépendant alors de l'Empire français. Ces tirailleurs ont été de tous les combats, des tranchées de 14-18 au débarquement de Provence en passant par les rizières d'Indochine et les montagnes d'Algérie.

Ils ont servi l'armée française dans ses pages les plus glorieuses : la libération de Toulon, le débarquement de Provence. Mais aussi dans des moments plus sombres, comme la répression du soulèvement du Constantinois en Algérie en mai 1945 ou la répression à Madagascar en 1947.

Ils se firent particulièrement remarquer à la prise du fort de Douaumont, en 1916. Trente mille d'entre eux moururent au champ d'honneur. En 1939, 140 000 furent engagés dans la bataille et 24 000 furent faits prisonniers ou tués. Sans eux, il n'y aurait eu ni Bir Hakeim, ni la Marne, ni la conquête de l'île d'Elbe, ni la prise de Toulon.

Durant la Seconde Guerre mondiale, les Allemands choisissent de maintenir leurs prisonniers africains en France pour des questions de « pureté raciale ». Les tirailleurs ont donc été envoyés dans des fermes, des usines, des exploitations forestières, vivant quasiment au sein de la société française.

Lire aussi Aïssata Seck : « Il y a une forte méconnaissance de l'histoire coloniale »

Un travail de mémoire salutaire

Mais durant la chute de l'Empire colonial, tout change. Les derniers tirailleurs d'origine guinéenne, qui pourtant se sont battus sous les couleurs tricolores, sont rejetés par la France et par leur pays d'origine, qui les voit comme des traîtres, des mercenaires au service du colonisateur. Internés au camp de Rivesaltes en 1964, ces soldats guinéens, derniers tirailleurs, racontent la triste fin de la force noire.

À partir des années 2000, les Africains ont commencé à se réapproprier cette histoire, et surtout à voir ces tirailleurs différemment de leurs aînés qui ont pu les considérer, aux indépendances, comme des collaborateurs de l'État colonial.

Par exemple, dès 2004, le rond-point situé face à la gare ferroviaire de Dakar a été rebaptisé « Place du Tirailleur ». Au milieu trône une statue d'un poilu et d'un combattant sénégalais, côte à côte. Depuis lors, une journée d'hommage aux soldats africains des deux guerres mondiales est célébrée chaque année.

De l'autre côté, il faudra attendre plusieurs décennies et la sortie du film Indigènes en 2006 pour que la République française leur rende enfin justice. Comme leurs frères d'armes français, ils touchent désormais 336 euros tous les six mois.

Depuis, que sait-on de leur histoire ? Que reste-t-il de leurs récits ? Pour la première fois, un documentaire leur donne la parole.

Âgés de 86 à 89 ans, ils s'appellent Yao, Manoula, Keïta ou Abdoulaye, et ont sorti pour l'occasion leurs calots et leurs médailles qu'ils ont accrochés au revers de leurs vestes. Dignes et silencieux, ils racontent leurs souvenirs, intacts de leurs années de guerre, mais aussi la triste fin de la force noire. Jean-Yves Le Naour et le réalisateur Cédric Condon ont fait le choix d'aller à la rencontre de ces anciens combattants africains obligés de résider six mois par an en foyer Sonacotra en France pour toucher l'intégralité de leur pension.

Tierno Monénembo - Tirailleurs : le grand réveil de l'histoire africaine de la France

CHRONIQUE. Tout donne à penser qu'il y aura un avant et un après-discours de Saint-Raphaël à propos de ces héros de l'ombre, « ces dogues noirs de l'Empire… que personne ne nomme » pour paraphraser Senghor.

Par Tierno Monénembo Publié le 09/09/2019 à 10:49 | Le Point.fr

Le discours fait à Saint-Raphaël sera-t-il suivi de concret ou restera-t-il un simple effet d'annonce ? Croisons les doigts. Les promesses sont rarement tenues quand il s'agit de l'Afrique. Il reste que le geste de Macron est sans précédent. Jamais un président français n'avait été aussi loin dans le souci de la vérité historique : après avoir assimilé la colonisation à un crime contre l'humanité, voilà qu'il exhorte les maires à donner aux tirailleurs sénégalais les noms de leurs rues et de leurs places. Une occasion pour nous de pousser un « ouf » de soulagement et, pour la France, de réparer une cruelle injustice

Lire aussi : Débarquement de Provence - Macron : « La France a une part d'Afrique en elle »

Lire aussi : Un héros sort de l'ombre : Charles N'Tchoréré, venu du Gabon, mort pour la France

La réparation d'une injustice flagrante

En effet, les tirailleurs sénégalais lui ont beaucoup donné et rien, sinon très peu, reçu en retour. Alors qu'ils se trouvaient souvent aux avant-postes et effectuaient les missions les plus périlleuses, ces « chairs à canon » comme on les surnommait dans les tranchées furent jetées comme des pneus crevés dès que sonna le clairon de l'armistice. Pensez donc ! Jusqu'en 2007, leurs prestations valaient à peine la moitié de celles de leurs collègues blancs. Les métropolitains touchaient alors 400 euros, eux 190 ; les Algériens 90 et les Vietnamiens, à peine 40. Et si ces prestations ont été revalorisées depuis lors, elles ne concernaient que la pension du feu, à savoir la retraite du combattant et la pension militaire d'invalidité. Et si elles ont été revalorisées depuis, il a fallu attendre 2010 pour que la mesure soit étendue à la pension de retraite et indexée sur les prestations de leurs collègues français. En bref, une ségrégation parfaitement légale sous le toit d'une République connue pour ses intarissables leçons sur la liberté, l'égalité, la fraternité, les droits inaliénables de l'homme et tutti quanti.

Lire aussi : Histoire : tirailleurs, une mémoire vivante

Lire aussi : Sur les tirailleurs : « Il me paraissait nécessaire de raconter leur histoire, qui est aussi la nôtre »

Retrouver leur vraie place...

Pourtant, la réalité est là, aussi irréfutable que l'éléphant d'Alexandre Vialatte : les tirailleurs sénégalais sont au cœur de l'histoire de France, et ce, depuis 1857. C'est cette année-là que les généraux Faidherbe et Mangin créèrent à Saint-Louis du Sénégal la Force noire, un effectif de 15 000 personnes qui participa à la conquête de Madagascar et à la « pacification » du Maroc. En 1914, ils étaient déjà 200 000 personnes et ne venaient plus seulement du Sénégal mais de toutes les colonies d'Afrique noire. Ils se firent particulièrement remarquer à la prise du fort de Douarmont, en 1916. 30 000 d'entre eux moururent au champ d'honneur. En 1939, 140 000 furent engagés dans la bataille et 24 000 furent faits prisonniers ou tués. Sans eux, il n'y aurait eu ni Bir-Hakeim, ni la Marne, ni la conquête de l'île d'Elbe, ni la prise de Toulon.

Lire aussi : Débarquement de Provence : l'Armée d'Afrique y a été déterminante

... dans l'histoire de France

Ces soldats sans peur et sans reproche que le maréchal Foch appréciait particulièrement méritent d'occuper la place qui leur revient dans l'histoire de France. En ce sens, le discours fait à Saint-Raphaël ne se perçoit pas comme un geste de générosité, mais comme la reconnaissance d'un dû. Quoi de plus normal que dès demain – pourquoi pas dès ce soir ? - les petits Français découvrent une place, un pont, une rue baptisé du nom d'un Africain et d'interrogent. On pourra par exemple leur répondre que le capitaine N'Tchoréré fut un illustre officier d'origine gabonaise tué à la bataille d'Airennes en 1940 après avoir tenu compte avec sa compagnie à une colonne de chars allemands, que Yorgui Koli était un tirailleur originaire du Tchad qui s'est illustré dans les batailles de Giromagny et de Belfort en novembre 1944, qu'Addî Bâ, d'origine guinéenne, a fondé le maquis de la Délivrance dans les Vosges et a été fusillé par les Allemands en 1943. Seulement, les rues et les ponts ne suffiront pas, président Macron. Il faudra aussi – j'allais dire surtout – une bonne dose de pédagogie. Il est grand temps que la France raconte à ses enfants son histoire africaine sans autre souci que celui de rétablir les faits tels qu'ils se sont déroulés.

Le capitaine Charles N'Tchoréré (1896-1940) a donné son nom à une rue à Airennes mais aussi au Prytanée militaire de Saint-Louis du Sénégal. © DR

Le capitaine Charles N'Tchoréré (1896-1940) a donné son nom à une rue à Airennes mais aussi au Prytanée militaire de Saint-Louis du Sénégal. © DR

Charles N'Tchoréré, ce héros français d'Airaines venu du Gabon 

SOUVENIR. Mort le 7 juin 1940, ce capitaine a donné son nom au prestigieux Prytanée militaire de Saint-Louis, au Sénégal, dont la devise est « Savoir pour mieux servir ».

Par Le Point Afrique Publié le 19/08/2014 à 17:10 | Le Point.fr

Le capitaine Charles N'Tchoréré a été tué à Airaines par un  soldat de la division Panzer de Rommel qui n'a pas accepté de traiter l'Africain qu'il était comme un officier violant ainsi les lois de la guerre.  © DR

C'est le 15 novembre 1896 que Charles N'Tchoréré naît au Gabon, à l'époque une colonie française de l'Afrique-Équatoriale française (AEF). Son parcours de vie s'achèvera au champ d'honneur le 7 juin 1940 à Airaines du fait d'un acte anti-militaire d'un soldat de la division de panzers de Rommel qui ne supportait pas de voir ce capitaine noir de l'armée française revendiquer un traitement d'officier alors que sa compagnie se rendait faute de munitions. D'ailleurs, tuer Charles N'Tchoréré n'aura pas suffi. Un char allemand lui roulera dessus pour le broyer. Qu'importe, son honneur était sauf et c'est bien là l'essentiel. En ces temps de commémoration du Débarquement de Normandie, prélude à des victoires décisives contre toutes les barbaries dont le racisme actuellement au coeur de l'actualité, il convient de réveiller la mémoire d'un homme qui a fait son devoir et tenu à défendre son honneur de soldat jusqu'au bout .

Lire aussi Normandie : sur les traces des soldats du Débarquement

N'Tchoréré est engagé dès la Grande Guerre

Charles N'Tchoréré se trouve au Cameroun quand la guerre éclate en 1914. Employé dans une entreprise tenue par des Allemands, il retourne dans son pays d'origine, le Gabon, une colonie de l'Afrique-Équatoriale française, pour échapper à d'éventuelles représailles. Les combats font rage et s'éternisent. La France a besoin de bras valides. Elle fait donc appel à ses "indigènes". Avec l'accord de son père, Charles s'engage en 1916. À la fin de la guerre, il sera élevé au grade de sergent. Il décide par la suite de faire carrière dans l'armée française. Pour sa première mission, il est envoyé au Maroc, où un certain Abdel el-Krim et ses hommes ont pris les armes pour réclamer une République sécessionniste. Nous sommes en 1919.

Lire aussi « Morts par la France » : cette BD qui questionne le massacre de Thiaroye de 1944

Il passe par l'École des officiers d'outre-mer de Fréjus

Dès son retour en France, Charles N'Tchoréré intègre l'École des officiers d'outre-mer de Fréjus. Il en sort major en 1922. Puis il part de nouveau en mission. Direction la Syrie. Charles N'Tchoréré n'aura pas de chance cette fois. Il est grièvement blessé à la mâchoire au cours des combats. On lui décerne la croix de guerre avec étoile d'argent pour son courage exemplaire. Remis de sa blessure, il est affecté dans l'administration. Il rédige des articles pour La Revue des troupes coloniales et un rapport sur la promotion sociale des sous-officiers indigènes. Il demande ensuite sa mutation au Soudan, où il prend le commandement de la compagnie hors rang du 2e régiment des tirailleurs sénégalais à Kati. Il dirige parallèlement une école des pupilles de l'armée. En 1933, Charles N'Tchoréré est nommé capitaine. Une belle fin de carrière en perspective l'attend au Sénégal à la tête du 1er régiment des tirailleurs sénégalais.

Lire aussi Mémoire - Tirailleurs sénégalais : un livre bouleverse les clichés

La Seconde guerre mondiale déclarée, il revient en métropole pour combattre

Mais lorsque la France et l'Allemagne entrent en guerre en septembre 1939, il abandonne tout et vole au secours de la métropole. Il prend le commandement de la 5e compagnie du 53e régiment d'infanterie colonial mixte sénégalais. Ses hommes et lui ont pour mission de défendre la commune d'Airaines, près d'Amiens, de la menace nazie, ce qu'ils vont faire avec bravoure malgré les difficultés de communication. Quelques éléments de sa troupe, des Africains, ne parlent pas français. Mais Charles N'Tchoréré sait les galvaniser. Et quand, le 5 juin 1940, les Allemands commencent à bombarder la bourgade, le bataillon ne plie pas. Il résiste et tient tête à l'armée d'Hitler, qui perd huit de ses chars. Une soixantaine d'Allemands sont faits prisonniers.

Malheureusement, les Français sont à court de munitions. Ils tentent donc un repli vers le sud. Pour couvrir leur fuite, Charles N'Tchoréré reste à Airaines avec une poignée de soldats. Après soixante-douze heures de combat, le natif de Libreville et quinze de ses hommes rendent les armes. Les Allemands sont en admiration. Ils ne s'attendaient pas à une telle résistance et leur surprise est grande de devoir traiter avec un capitaine des colonies. Mais contrairement au règlement militaire, certains d'entre eux veulent le séparer des officiers blancs. Charles N'Tchoréré proteste et revendique, en allemand, son statut d'officier. Un soldat sort son arme et l'abat froidement, malgré les protestations des prisonniers allemands qui venaient d'être libérés.

La stèle en mémoire de Charles N'Tchoréré et des combattants d'Afrique noire, à Airaines, près d'Amiens. © DR

La stèle en mémoire de Charles N'Tchoréré et des combattants d'Afrique noire, à Airaines, près d'Amiens. © DR

Lire aussi Histoire : tirailleurs, une mémoire vivante

"Nos neveux seront fiers d'être français et pourront lever la tête sans honte"

Peu avant sa mort, Charles N'Tchoréré avait écrit à son fils Jean-Baptiste, qui mourra, lui aussi, au combat, quelques jours avant la défaite des troupes françaises et l'armistice de juin 1940. Il lui dit : "Mon fils, j'ai là sous les yeux ta dernière lettre. Comme je suis fier d'y trouver cette phrase : Quoi qu'il en arrive, papa, je serai toujours prêt à défendre notre chère patrie, la France. Merci, mon enfant, de m'exprimer ainsi ces sentiments qui m'honorent en toi... La vie, vois-tu, mon fils, est quelque chose de cher. Cependant, servir sa patrie, même au péril de sa vie, doit l'emporter toujours !" Et d'ajouter : "J'ai une foi inébranlable en la destinée de notre chère France. Rien ne la fera succomber et, s'il le faut pour qu'elle reste grande et fière de nos vies, eh bien, qu'elle les prenne ! Du moins, plus tard, nos jeunes frères et nos neveux seront fiers d'être français et ils pourront lever la tête sans honte en pensant à nous." Au-delà de cette citation, c'est bien l'histoire de l'Afrique et de la France qui se mêle. Pour l'honneur et la liberté. Contre la barbarie et le racisme. 

Histoire : tirailleurs, une mémoire vivante

VIDÉO. Après l'inauguration en novembre 2018 du Monument aux héros de l'Armée noire à Reims, hommage est à nouveau rendu aux combattants des Armées d'Afrique à l'occasion du 75e anniversaire du débarquement de Provence. Témoignages.

Par Esther Thwadi-YimbuModifié le 15/08/2019 à 11:38 - Publié le 13/11/2017 à 18:48 | Le Point.fr

Le 15 avril 2017, on a reparlé à nouveau des tirailleurs... ces anciens soldats africains ayant combattu sous le drapeau français. Car à la suite d'une pétition lancée par Aïssata Seck, petite fille de tirailleur sénégalais, réclamant l'attribution de la nationalité française pour ces anciens combattants, le désormais ex-président François Hollande décidait de « réintégrer » ces vétérans en leur accordant des titres officiels français. Et ce, près de soixante ans après la fin de leur enrôlement au sein de l'armée française... Que reste-t-il de leurs récits d'Indochine, de leurs nuits froides dans les montagnes d'Algérie ? Âgés de 86 et 89 ans, cette troisième génération de tirailleurs présente des souvenirs, intacts de leurs années de guerre.

LIRE aussi : "Il me paraissait nécessaire de raconter leur histoire, qui est aussi la nôtre"

Une histoire chevillée au corps

Yoro Diao, 89 ans, nous reçoit dans sa coquette chambre du foyer Adoma. Le « doyen » des tirailleurs, à la voix claire, est rompu à l'exercice depuis sa récente médiatisation. Le vétéran commence, naturellement, à évoquer son enfance au Sénégal, à l'école française. Une scolarisation, interrompue par la Seconde Guerre mondiale, qui a vu ses enseignants français mobilisés dans l'Hexagone. À la fin de la guerre, le jeune garçon reprend ses études et enchaîne quelques petits boulots jusqu'au mois de mai 1951. Année décisive.

À tout juste 22 ans, Yoro Diao entre dans l'armée française par volontariat. Il intègre le 24e RTS, Régiment des tirailleurs du Sénégal. Après un stage en France, le jeune appelé fera ses premières armes en Indochine, en rejoignant le 24e régiment de marche en tant qu'infirmier-brancardier à Tonkin. Trente-six mois durant (au lieu de 24), il est éloigné de ses terres sénégalaises et de son Dagana natal. À peine cinq mois de congé plus tard que le sergent-chef prend de nouveau le bateau, direction : l'Algérie, au sein du 22e RIC, Régiment d'infanterie coloniale.

Au service des armées française et sénégalaise

À l'indépendance du Sénégal, Yoro Diao rejoint l'armée nationale durant vingt-six ans, après avoir servi la France durant dix ans. Sous la cadence des aiguilles de son horloge, Yoro Diao rythme ses souvenirs de guerre en faisant, par moments, quelques pauses, les yeux brillants. En évoquant l'Indochine, et ses allers-retours effectués sous le fracas des armes lourdes pour ramener les blessés et les morts, Yoro Diao répétera, par quatre fois, lors de son deuxième « baptême de feu », la centaine d'hommes tombés durant cette sombre année 1954. Comme une manière de ne pas oublier ses anciens compagnons...

Plusieurs fois décoré, par deux croix de guerre notamment, Yoro Diao a reçu la Légion d'honneur le 3 avril 2017. Une reconnaissance bienvenue pour l'ancien combattant, lui-même fils de tirailleur qui s'était engagé sous le drapeau français lors de la guerre 14-18.

LA RESTITUTION DES OEUVRES D'ART AFRICAIN

logo TV5 Monde 1.jpg

LA QUESTION DES RESTITUTIONS EST INSCRITE DANS L'ADN DES INDÉPENDANCES

Les députés français ont donné leur feu vert pour la restitution de 26 œuvres d'art au Bénin et d'un sabre au Sénégal. Marie-Cécile Zinsou, historienne de l'art explique "qu'il ne s'agit pas de vider les musées français au profit du continent africain"

Publication 09/10/2020

Près de trois ans après le discours d'Emmanuel Macron à Ouagadouou, les députés français ont donné leur feu vert pour la restitution de 26 œuvres d'art au Bénin et d'un sabre au Sénégal. Marie-Cécile Zinsou, franco-béninoise, historienne de l'art et présidente de la Fondation Zinsou, explique "qu'il ne s'agit pas de vider les musées français au profit du continent africain" mais de rendre un patrimoine accessible aux jeunes béninois et sénégalais : "Nous sommes là pour créer l'avenir" dit-elle.

Le problème doit être analysé "d'une façon ouverte" souligne Hamady Bocoum, directeur du Musée des civilisations noires de Dakar : "La question des restitutions est inscrite dans l'ADN des indépendances [...], elle dépasse l'Afrique et implique aussi l'Europe".

Video: cliquer sur le lien : https://youtu.be/ImddPzQBj4E

LE TABOU DE LA TRAITE NEGRIERE ARABE

logo VIE.png

LE TABOU DE LA TRAITE NEGRIERE ARABE

La traite négrière est triple : l’occidentale (la plus dénoncée), l’intra-africaine (la plus tue) et l’orientale (la plus taboue).

L’Afrique a connu des traites tout aussi violentes et dévastatrices que la traite transatlantique. Il s’agit des traites orientale et transsaharienne, organisées par les Arabes, pendant treize siècles sans interruption.

La traite transatlantique pour sa part, a duré quatre siècles. Tidiane N’Diaye, anthropologue et économiste sénégalais, s’est penché sur le sujet dans son ouvrage “Le génocide voilé”.

“La plupart des gens braquent toujours les projecteurs sur la traite transatlantique pratiquée par les Européens en direction du Nouveau monde. Mais, en réalité, l’esclavage arabo-musulman a été beaucoup plus important parce que, quand je fais la synthèse des travaux existant, pour la traite transatlantique on se situe dans une fourchette entre  9, 6 et 11 millions d’individus, alors que pour la traite arabo-musulmane, ce sont 17 millions de victimes” affirme le Sénégalais.

Groupe d'esclaves menés par un négrier arabe armé, Zanzibar, 1889

Groupe d'esclaves menés par un négrier arabe armé, Zanzibar, 1889

Africains esclavagistes

Les razzias effectuées en Afrique de l’est par la route transsaharienne vers le Maroc ou l’Égypte concernent huit millions d’Africains.

Neuf autres millions ont été déportés dans les régions de la mer Rouge ou de l’océan Indien. Mais, ces statistiques, évoquées par le chercheur sénégalais, sont relativisées par Abdulazizi Lodhi, professeur de swahili et de linguistique africaine à l’Université d’Uppsala en Suède.

“L’esclavage faisait partie de diverses cultures africaines et, dans de nombreuses sociétés africaines, il n’y avait pas de prisons, de sorte que lorsqu’ils capturaient des gens, ils les vendaient, surtout vers le Nord. Ces esclaves pouvaient devenir des soldats et avoir des grades dans d’autres pays. En Afrique de l’est, les principaux participants à la traite négrière étaient les Africains tribaux eux-mêmes. En ce qui concerne l’exportation, les Arabes étaient les plus actifs parce qu’ils s’occupaient du commerce d’exportation et non de la capture d’esclaves en tant que tels. Ils achetaient neuf esclaves sur dix aux esclavagistes africains ” explique Abdulazizi Lodhi.

La traite arabo-musulmane que l’anthropologue Tidiane N’Diaye qualifie de “génocide de peuples noirs”, serait selon lui, en partie à l’origine de la pauvreté, la longue stagnation démographique et le retard de développement actuel que connait l’Afrique.

Et bien que ce fléau ait été aboli, on estime que près de 40 millions de personnes dans le monde vivent encore en esclavage. Le continent africain bien sûr n’est pas épargné.

Marché aux esclaves à Zabid (Yémen) où Abu Zayd vend son fils à al-Harith, manuscrit de l'école de Bagdad, 1237

Marché aux esclaves à Zabid (Yémen) où Abu Zayd vend son fils à al-Harith, manuscrit de l'école de Bagdad, 1237

Les acteurs de la traite arabe

Les esclaves noirs étaient capturés, transportés et achetés par des personnages très différents. La traite passait par une série d’intermédiaires et enrichissait une certaine partie de l’aristocratie musulmane.

L’esclavage se nourrissait des guerres entre peuples et États africains, ce qui donnait lieu à une traite interne. Les vaincus devaient un tribut constitué d’hommes et de femmes réduits en captivité. Sonni Ali Ber (1464-1492), empereur du Songhaï, mena de nombreuses guerres pour étendre son territoire. Bien qu’il fût musulman, il réduisit en esclavage d’autres musulmans vaincus. La dynastie des Askia (Mali) eut la même politique.

Aux VIIe et IXe siècles, les califes avaient tenté d’organiser la colonisation des rivages africains de l’océan Indien à des fins commerciales. Mais ces établissements furent éphémères, souvent fondés par des exilés ou des aventuriers. Le sultan du Caire envoyait des trafiquants d’esclaves pour opérer des raids sur les villages du Darfour. Des bandes armées aux ordres de marchands allaient incendier les villages et rapportaient des captifs, souvent des femmes et des enfants. Face à ces attaques, les populations formaient des milices, érigeaient des tours et des enceintes afin de protéger leurs villages.

Les marchands arabes et berbères d’Afrique du Nord échangeaient des esclaves contre de l’or, du sel, des épices ou des métaux dans les empires d’Afrique occidentale. Ainsi, dans la capitale de l’empire du Ghana Koumbi-Saleh, la population était répartie par quartiers en fonction des ethnies, des clans et des activités : le quartier des Blancs étaient réservés aux marchands arabes qui disposaient de mosquées alors que l’Empire était majoritairement animiste. L’Empire du Mali (XIIIe – XVe siècles) poursuivit les échanges avec les États d’Afrique du Nord et l’on a rencontré des marchands arabes et juifs dans les villes.

Maures pillant un village nègre, in Le Sénégal, René Geoffroy de Villeneuve, 1814, BNF

Maures pillant un village nègre, in Le Sénégal, René Geoffroy de Villeneuve, 1814, BNF

Buts de la traite et de l’esclavage

Les motifs économiques étaient les plus évidents. Dès les débuts de la conquête arabo-musulmane, le manque de main-d’œuvre entraîna le besoin d’utiliser des esclaves sur les chantiers ou dans les mines de sel. La traite occasionnait de grands profits pour ceux qui la maîtrisaient. Plusieurs cités se sont enrichies et ont prospéré grâce au trafic des esclaves, aussi bien au Soudan qu’en Afrique orientale. Dans le désert du Sahara, les chefs lançaient des expéditions contre les pillards de convois. Les souverains du Maroc médiéval avaient fait construire des forteresses dans les régions désertiques qu’ils dominaient afin d’offrir des haltes protégées aux caravanes. Le sultan d’Oman a transféré sa capitale à Zanzibar (signifiant « côte des Noirs »), car il avait bien saisi l’intérêt économique de la traite arabe. Plusieurs milliers d’esclaves transitaient par Zanzibar chaque année au XIXe siècle avant d’être déportés en Arabie, voire au Brésil. Le palais du sultan témoigne encore de sa fortune. Plusieurs milliers d’autres hommes travaillaient de force dans les plantations.

C’était aussi souvent à des fins sexuelles. En effet, dans l’aire arabo-musulmane, les harems nécessitaient un « approvisionnement » en femmes.

Il existait en outre des raisons sociales et culturelles à la traite : en Afrique subsaharienne, la possession d’esclaves était le signe d’appartenance à un haut rang social.

A Constantinople (empire ottoman), 1836

A Constantinople (empire ottoman), 1836

Pour finir, il est impossible d’ignorer la dimension religieuse et raciste de la traite. Punir les mauvais musulmans ou les païens tenait lieu de justification idéologique à l’esclavagisme : les dirigeants musulmans d’Afrique du Nord, du Sahara et du Sahel lançaient des razzias pour persécuter les infidèles : au Moyen Âge, l’islamisation était en effet superficielle dans les régions rurales de l’Afrique. Les lettrés musulmans invoquaient la suprématie raciale des Blancs, qui se fondait sur le récit de la malédiction proférée par Noé dans l’Ancien Testament (Genèse 9:20-27). Selon eux, elle s’appliquait aux Noirs, descendants de Cham, le père de Canaan, qui avait vu Noé nu. Les Noirs étaient donc considérés comme « inférieurs » et « prédestinés » à être esclaves. Plusieurs auteurs arabes les comparaient à des animaux. Le poète Al-Mutanabbi méprisait le gouverneur égyptien Abu al-Misk Kafur au Xe siècle à cause de la couleur de sa peau.

Le mot arabe abid qui signifiait esclave est devenu à partir du VIIe siècle plus ou moins synonyme de « Noir ». Quant au mot arabe zanj, il désignait de façon péjorative les Noirs. Ces jugements racistes étaient récurrents dans les œuvres des historiens et des géographes arabes : ainsi, Ibn Khaldoun a pu écrire au XIVe siècle : « Les seuls peuples à accepter vraiment l’esclavage sans espoir de retour sont les nègres, en raison d’un degré inférieur d’humanité, leur place étant plus proche du stade de l’animal ». À la même période, le lettré égyptien Al-Abshibi écrivait « Quand il [le Noir] a faim, il vole et lorsqu’il est rassasié, il fornique ». Les Arabes présents sur la côte orientale de l’Afrique utilisaient le mot « cafre » pour désigner les Noirs de l’intérieur et du Sud. Ce mot vient de « kāfir » qui signifie « infidèle » ou « mécréant ».

http://environnement-afrique.com/

http://environnement-afrique.com/

CES ENFANTS METIS DE LA COLONISATION - FRANCE & BELGIQUE

LA BELGIQUE PRESENTE SES EXCUSES A SES ENFANTS METIS

Bruxelles a officiellement présenté le 4 avril 2019 ses excuses pour les "injustices" subies par les milliers d'enfants métis nés de pères belges au Congo, Rwanda et Burundi pendant la période coloniale. Enfants qui furent par la suite arrachés à leurs mères africaines et victimes de ségrégation. Ils furent souvent confiés à des institutions religieuses.

Des soldats congolais montent la garde devant le buste du roi Léopold II à l'entrée du Camp Léopoldville (aujourd'hui Kinshasa), le 3 septembre 1942. (WESTON HAYNES/AP/SIPA / AP)

Des soldats congolais montent la garde devant le buste du roi Léopold II à l'entrée du Camp Léopoldville (aujourd'hui Kinshasa), le 3 septembre 1942. (WESTON HAYNES/AP/SIPA / AP)

logo le figaro.png

Laurent Ribadeau Dumas Rédaction Afrique France Télévisions
publié le 07/04/2019 | 10:25

"Au nom du gouvernement fédéral belge, je présente nos excuses aux métis issus de la colonisation belge et à leurs familles pour les injustices et les souffrances qu'ils ont subies", a déclaré le Premier ministre, Charles Michel, devant la Chambre des représentants. Il a dit souhaiter que "ce moment solennel soit une étape supplémentaire vers une prise de conscience de cette partie de notre histoire nationale".

En 1885, la conférence de Berlin avait reconnu au roi des Belges Léopold II "la possession à titre privé d'un vaste territoire au cœur de l'Afrique noire, qui sera baptisé 'Etat indépendant du Congo'", rappelle le site herodote.net. Une "propriété privée" (aujourd’hui République démocratique du Congo) que le souverain va "saigner à blanc"… A l’issue de la Première guerre mondiale, le Ruanda-Urundi, alors territoire allemand regroupant Rwanda et Burundi, était tombé dans l’escarcelle de la Belgique. Les trois pays sont devenus indépendants au début des années 1960.

Un "tabou"

Le sort des enfants nés de pères belges et de mères congolaises, rwandaises et burundaises pendant la colonisation "a longtemps été tabou en Belgique". Pour le cofondateur de l’association Métis de Belgique, François d’Adesky, entre 14 000 et 20 000 bébés métis sont issus de liaisons entre colons et femmes africaines.
"L'homme blanc qui vivait avec son enfant et sa partenaire africaine devait se comporter discrètement en public, violant apparemment une loi coloniale, une sorte d'apartheid non écrit, mais irrésistible. S'il ne le faisait pas, son contrat (lui permettant de séjourner dans la colonie pouvait) pouvait être rompu", explique le site de l’association. "La femme africaine ne pouvait épouser son mari européen qu'en vertu de son droit coutumier et non selon la loi belge." Ces unions n’avaient donc pas de valeur pour la Belgique.

De même, la plupart des enfants nés dans ces couples n’ont pas été reconnus par leurs pères. Ceux que l’on appelait "mulâtres" (mot venant étymologiquement de "mulet, bête hybride", dixit le Petit Robert) ne devaient se mêler ni aux Blancs, ni aux Africains, phénomène que Charles Michel a qualifié de "ségrégation ciblée". Ces enfants étaient parfois considérés "comme l’incarnation de la décadence morale qui se propage aux colons", rapporte le site axelmag.be. Ils furent donc vus "comme un problème, voire un danger, puis un tabou", observe TV5monde.

"Dès la mort de mon père, en (19)56 (j’avais six mois à l’époque), les autres Belges chassèrent ma mère avec les enfants de la maison que nous occupions, ils prirent les meubles (et les) objets de valeur pour les renvoyer en Belgique. Deux ans après (...), tous ses biens aux colonies (avaient) disparu. Mon père avait souscrit une assurance pour nous permettre d’étudier, mais jamais cet argent ne fut confié à ma mère. Une Africaine, vous pensez, comment allait-elle gérer ce petit pécule, on n’en a jamais vu la couleur…", a raconté l'un de ces enfants au journal Le Soir.

Seuls 10% de ces petits métis ont été reconnus par leur père, raconte François d’Adesky. Résultat : les autres ont été abandonnés "chez les missionnaires (les mères ne pouvant pas s’y opposer)", selon axelmag.be. Nombre d’entre eux ont été "envoyés dans des institutions religieuses comme le pensionnat des Sœurs à Save au Rwanda", précise TV5monde. Certains se sont retrouvés à la rue. 

En 2017, l’Eglise catholique a présenté ses excuses et ouvert ses archives sur cette période.

"Politique d’enlèvements"

Au moment des indépendances, "les religieuses de Save et un prêtre belge, le père Delooz, ont le sentiment que la situation, au Rwanda et au Congo, va évoluer très vite, que le Mwami (le roi) et les Tutsis en général n’aiment pas les enfants mulâtres, qui pourraient se retrouver en danger", rapporte Le Soir. Entre 1959 et 1962, un millier d'entre eux ont été rapatriés en Belgique par les autorités du royaume dans des conditions controversées. Ils ont été séparés de leurs mères et du reste de leur famille. Avant d’être placés dans des pensionnats ou adoptés par des familles belges.

"La répartition des enfants métis sur l'ensemble du territoire de la Belgique s'est effectuée en séparant les fratries et a entraîné des pertes d'identité dues aux différents changements de prénoms, de noms, de dates de naissance", a expliqué Charles Michel. Déplorant "une politique d'enlèvements forcés", il a évoqué aussi leur "extrême difficulté" à reconstruire ensuite leur vie dans le pays. Et à recevoir la citoyenneté belge, faute de reconnaissance par le père.

Pour le cofondateur de Métis de Belgique, né en 1946 d'un père belge, employé d'une société minière, et d'une mère rwandaise, ces excuses de l'Etat belge sont "un événement historique". Lui-même dit avoir eu la chance d'être reconnu par son père et de compter parmi les premiers revenus en Belgique, dans les années 1950. "Mais ma mère a dû rester au pied de l'avion. Je ne l'ai revue que 23 ans après", a raconté François d'Adesky à l'AFP.

François d’Adesky est né d’un père colon et d’une mère rwandaise. Avec ses frères et sœurs, ils sont placés à l’Institut de Save, un internat pour enfants métis au Rwanda. A l’âge de sept ans, dans les années 50, il est parmi les premiers métis à arriver en Belgique. La fratrie vit d’abord avec le père – qui les avait reconnus, cas plutôt rare – puis est prise en charge par une association de protection des « enfants mulâtres ». Hautement diplômé, ancien directeur au sein des Nations unies, cet homme de 73 ans a co-fondé l’Association des Métis de Belgique (AMB) et se bat depuis des années pour que la Belgique s’excuse auprès de ces enfants de la colonisation, arrachés à leur mère et placés de force à l’adoption. Pour lui, il s’agit donc d’un jour historique.

logo la libre belgique.png

"J’ai été immatriculé comme indigène et n’ai pu recevoir l’éducation des petits Belges" :

L'odyssée du métis François d'Adesky  https://www.facebook.com/watch/?v=274534370312076

Jean-Claude Matgen

Publié le 05-04-19 à 09h36 

Né d’une mère rwandaise et d’un père belge, ce septuagénaire a vécu, comme ses frères et sa sœur, des drames et des injustices qu’il a surmontés.

L’une des chevilles ouvrières du "combat" mené pour la reconnaissance des discriminations faites aux métis nés d’une mère africaine et d’un père belge du temps de la colonisation est François d’Adesky, figure bien connue à Woluwe-Saint-Pierre. Ce "cadre" de l’Association des métis de Belgique a accueilli avec soulagement les excuses prononcées, jeudi, à la Chambre, par le Premier ministre Charles Michel, au nom de l’État belge.

Mariage coutumier

M. d’Adesky, né en 1946, à M’Bazi, au Rwanda, a vécu, avec ses frères et sa sœur, une véritable odyssée.

"Mon histoire est un peu particulière, dit-il d’emblée. Contrairement à l’écrasante majorité des autres enfants métis, moi et mes frères et sœur avons été reconnus par notre père. Celui-ci, qui travaillait pour le compte de la Générale de Banque, a manifesté l’intention d’épouser ma mère, ce qui lui a valu d’être licencié. Il a investi dans une plantation de café et s’est lancé dans le commerce de bovins. Ma mère était la cousine de l’avant-dernier roi du Rwanda. Mon père et elle ont fait un mariage coutumier qui n’a pas été légalisé par les autorités coloniales."

Cela a eu une incidence sur le jeune François. "J’ai été immatriculé comme indigène et n’ai pu recevoir l’éducation des petits Belges. C’est ainsi que j’ai rejoint un des orphelinats où l’on parquait les jeunes métis. Je pouvais, toutefois, contrairement à eux, rentrer chez mes parents le week-end et pour les vacances."

Coma et épilepsie

François et les siens auraient pu s’accommoder de cette existence mais un drame va tout compliquer. "Début 1953, mon père a eu un très grave accident de voiture. Il est resté plusieurs jours dans le fond d’un fossé et quand on a découvert son véhicule, son chauffeur était mort et lui était tombé dans le coma. Il en a gardé des séquelles à vie, devenant épileptique."

La grand-mère belge de François d’Adesky va entreprendre des démarches pour que la famille soit rapatriée et obtenir que tout le monde puisse gagner la Belgique car, en 1953, aucune personne de couleur ne pouvait y débarquer.

"Les choses ne se sont pourtant pas passées comme prévu, commente M. d’Adesky. "Lorsque nous avons embarqué dans l’avion qui devait nous emmener de Bujumbura à Bruxelles, le commandant de bord a refusé d’emmener ma mère, ma sœur, mes frères et moi. Finalement, il a accepté de décoller mais sans maman. Mon frère de 2 ans hurlait. Moi, je pleurais aussi toutes les larmes de mon corps mais mon père a promis de faire le nécessaire pour régulariser la situation depuis Bruxelles."

Trois Ave Maria et un Pater

Avant de quitter l’avion, ma mère m’a dit : "François, dis chaque soir trois Ave Maria et un Pater, et je suis sûre que nous nous retrouverons." À ce moment du récit, la voix de notre interlocuteur se brise et il lui faut quelques secondes pour reprendre ses esprits.

La suite ? Elle fut terrible. La famille vit grâce à l’aide de la grand-mère car le père voit son état de santé se dégrader. "Mais en 1955, ma grand-mère est morte et nous nous sommes retrouvés à la rue. Mon père avait deux frères. L’un vivait aux États-Unis, très loin de nous. L’autre, hélas, a tout fait pour capter l’héritage de ma grand-mère jusqu’à réussir à faire interner mon père dans un asile sordide après qu’il eut fait plusieurs crises d’épilepsie. Je suis allé voir mon père. J’avais neuf ans. Je n’ai pas pu retourner dans cet asile horrible. Je suis sûr que mon père s’y est laissé mourir de chagrin, incapable depuis cet endroit de faire revenir ma mère et incapable de prouver aux autorités qu’il n’avait rien à faire là. Il a été enterré dans une fosse commune, à Manage. Nous étions ravagés."

Adolescence à Woluwe-Saint-Pierre

Les enfants d’Adesky ont été pris en charge, après la mort de leur grand-mère, par l’Association de protection des mulâtres, subsidiée par l’État belge et aidée par des "dames patronnesses". "C’est la famille de Me Paul Coppens qui nous a pris sous son aile", explique François d’Adesky. Lequel se retrouvera placé, en compagnie de ses frères, au home Le Pilote, à Woluwe-Saint-Pierre. C’est là qu’il grandira avant de mener de très belles études supérieures (avec une maîtrise en sciences économiques à la clé) puis une carrière "internationale", notamment pour le compte de l’Onu.

"Pour tout vous dire, j’avais été à ce point déçu de la façon dont la Belgique nous avait traités, de la façon dont l’Église catholique avait participé au système de ségrégation mis en place par les autorités coloniales, de la manière brutale dont l’État belge avait, en 1971, coupé tout subside à l’Association de protection des mulâtres, du racisme dont j’avais été l’objet, notamment sur le plan professionnel, que je n’avais pas envie de retourner vivre en Belgique. Mais il se fait que j’ai été muté à Bruxelles et que ma femme, d’origine franco-britannique, s’y est tellement plu que nous avons fini par acheter une maison à Woluwe-Saint-Pierre, à quelques mètres… du home où j’ai grandi sous tutelle."

La boucle était donc bouclée. Mais entre-temps, il s’est passé un événement tout à fait extraordinaire. "En 1976, un de mes frères travaillait à Bangui. Il a raconté notre odyssée à l’épouse d’un coopérant. Celle-ci s’est souvenu du récit d’une amie qui semblait correspondre à ce qu’elle venait d’entendre. Cette amie lui avait parlé d’une Rwandaise qui, depuis plus de vingt ans, avait perdu tout contact avec son mari et ses enfants retournés en Belgique et qui cherchait désespérément à en retrouver la trace. Nous avons effectué tous les recoupements possibles et avons fini par acquérir la certitude qu’il s’agissait bien de ma mère."

"J’ai senti un regard posé sur moi"

M. d’Adesky reçoit une lettre de sa maman une semaine après la naissance de son premier fils. Il apprend qu’après avoir vécu au Burundi puis au Kivu, elle a rencontré un Rwandais hutu, elle qui était tutsi, s’est mariée et a eu des enfants.

"Je suis allé la voir mais mon avion a dû atterrir à Bujumbura au lieu de Kigali. C’était un vendredi. J’ai pu atterrir à Kigali le dimanche. Mon intention était de me rendre au siège de l’entreprise où travaillait son mari le lundi. Je marchais dans le hall de l’aéroport quand j’ai senti, réellement senti, dans mon dos, un regard posé sur moi. Je me suis retourné. Une femme me fixait des yeux. J’ai marché vers elle et elle vers moi. Nous nous sommes reconnus et sommes tombés dans les bras l’un de l’autre. Ma mère avait passé 48 heures dans l’aéroport en scrutant tous les passagers qui sortaient des avions y ayant atterri."

La mère de François d’Adesky lui confiera qu’elle avait toujours su qu’ils se retrouveraient et que grâce à ces retrouvailles, elle connaîtrait une fin de vie heureuse.

Sauf qu’en 1994, le Rwanda s’embrasait. "Le fait que ma mère ait épousé un Hutu a fait que les membres de ma famille ont échappé au pire. Mais je suis resté deux mois sans nouvelles d’eux. Non, ma vie n’a pas été un long fleuve tranquille", conclut François d’Adesky, qui s’investit dans la vie politique (il est membre du MR) et associative de Woluwe, se bat contre le réchauffement climatique et, évidemment, pour la reconnaissance de ses "frères et sœurs" métis.

La nationalité Belge - la naissances - le mariage coutumier

PARLEMENT FRANCOPHONE BRUXELLOIS

20 OCTOBRE 2016

François d'Adesky – Co fondateur de l’association « metis de Belgique »

Madame la Présidente du Parlement francophone Bruxellois,
Monsieur le Président de l’Association des Metis de Belgique-Metis van België,
Mesdames et Messieurs les Membres du Parlement francophone Bruxellois, ainsi que des autres Parlements invités,
Mesdames et Messieurs,

C’est un honneur pour moi de faire aujourd’hui devant votre auguste Assemblée, un exposé qui examinera tout d’abord la question de la nationalité belge concernant les metis issus de la colonisation.


1. La question de la nationalité belge
Si, en Métropole, la nationalité belge conférait la qualité pleine et entière de citoyen, il n’en était pas de même dans les territoires africains administrés par la Belgique à l'époque coloniale. En effet, le Conseil colonial belge par le truchement de la « Charte coloniale », qui était la Loi fondamentale, réservait au Congo et plus tard au Ruanda-Urundi la qualité de citoyen uniquement aux Belges originaires de la Métropole. En dehors des ressortissants étrangers principalement indo-pakistanais, grecs et portugais, les populations africaines colonisées par la Belgique ou sous son mandat étaient considérées nominalement comme des nationaux belges, mais juridiquement, n’étaient pas des sujets belges à part entière puisque non citoyens. En outre, le système colonial subdivisait les sujets belges d’Afrique en « civilisés ou évolués », qui étaient immatriculés quelles que soient leur ethnie et leur origine, et en « non-civilisés » dénommés « indigènes » et non-immatriculés.
Notons qu’une carte d’immatriculé fait référence à un matricule donc à un numéro, tandis que la carte d’identité prouve l’identité et donc la dignité. Par ailleurs, pour obtenir le statut « d’évolué », il fallait vivre à l’Européenne : c’est ainsi que fut mis en place, comme dans un monde orwellien, des inspecteurs qui visitaient l’intimité des postulants africains pour vérifier par exemple s’ils utilisaient un mouchoir pour se moucher, s’ils possédaient une radio et un réfrigérateur, s’ils mangeaient avec des couverts et s’ils parlaient le français, etc.
En 1948, le statut de sujet belge « évolué » fut « amélioré » entre guillemets par l’introduction d’une carte du mérite civique qui autorisait les « évolués » à circuler après 18H00 dans les quartiers réservés aux blancs et en 1952, le statut des « meilleurs » procuraient à l’élite d’entre eux au Congo (pour le Ruanda-Urundi ce fut en 1956) un document d’identité qui les assimilait à des citoyens belges et leur permettait par exemple d’envoyer leurs enfants à l’école européenne. On prodiguait dans les écoles européennes un enseignement de qualité sans communes mesures par rapport aux écoles pour indigènes.


Ces chiffres sont cependant à relativiser, car d’une part, sur une population de 14 millions de personnes au Congo en 1959, il n’y avait que 1.557 personnes détentrices d’une carte du mérite civique, parmi lesquelles 217 personnes seulement avaient obtenu la carte d’identité spéciale. D’autre part, ces Africains « meilleurs» restaient cependant des sujets auxquels la citoyenneté à part entière était toujours refusée.
Une des preuves était qu’un sujet belge d’Afrique ne pouvait pas se rendre en Belgique à cette époque. Même les marins congolais de la Compagnie Maritime Belge du Congo-Belge (CMCB) avaient interdiction de descendre à quai quand leur navire accostait à Anvers. Ils étaient confinés à bord tout le temps qu'ils étaient à l'ancre dans la métropole portuaire belge.
Cette interdiction entraîna cependant des désertions tant à Anvers, que dans les escales dans les ports français précédant l’arrivée à Anvers. Il était difficile d’empêcher des marins congolais de descendre à quai sur un territoire étranger. Les déserteurs se retrouvaient ensuite à Anvers où plusieurs avaient des petites amies, une des causes principales des désertions. Paradoxalement, ces marins étant en « droit » sujets belges en Belgique ; ils n’étaient pas expulsables et reçurent donc une carte d’identité de citoyen belge. Leur nombre fut si grand, qu’en 1951-1952 les Pères Rédemptoristes fondèrent l’Amicale des Marins Congolais d’Anvers (AMC).
Cette amicale se chargea de trouver du travail et un logement pour ces marins et s’occupa également de placer auprès de familles belges adoptantes les enfants metis nés de ces unions et que les compagnes anversoises n’osaient garder auprès d’elles. Ce placement se faisait parfois avec l’aide de l’Association Vreugdezaaiers/ « Semeurs de Joie » ou de l’Association pour la Protection et (ensuite) la Promotion des Mulâtres (APPM) (1).


2. La question des naissances
Mais où se situaient donc les metis dans ce système ségrégationniste, cependant non sanctionné par des lois raciales. Si les metis étaient dans une position intermédiaire dans ce régime discriminatoire avec des institutions qui leur étaient réservées, c’est la naissance et le lieu de celle-ci qui déterminaient en fait leur statut.
La législation coloniale était focalisée sur les « indigènes » ; et lorsqu’elle eut sur les bras les metis illégitimes abandonnés par leurs pères belges et blancs à l’échéance de leur mission dans la colonie, elle fut contrainte de bricoler. Ainsi, lorsque le metis était déclaré par la seule mère africaine, il entrait automatiquement dans le statut de l'indigène immatriculé, selon une ordonnance du gouverneur général du 15 juillet 1915 ; c’était encore le cas lorsqu’il était abandonné ou orphelin et que les services administratifs l’avaient identifié et fait passer sous la tutelle de l’Etat ; dans le cas contraire, le metis tombait sous le coup des lois coutumières.
L’accès à la nationalité belge était donc réservé aux metis « légitimes », légitimés ou reconnus par un père ayant la citoyenneté belge pleine et entière, selon les règles du droit métropolitain belge.
Néanmoins, pour faciliter le « déplacement » vers la Belgique des enfants metis de l’orphelinat pour mulâtres (terme utilisé à l’époque) de Save au Rwanda que Sarah Heynssens vient de vous détailler, dont beaucoup ont été enlevés à leur mère, le Gouvernement belge délivra des « laissez-passer » provisoires aux enfants. Pour la plupart, qui n’avaient pas de statut juridique propre lié à l’absence d’un acte de naissance, on trouvait d'urgence des témoins pour établir un « Acte de Notoriété » qui suppléait à cette absence. Sur base de ces « laissez-passer » les Communes belges de résidence de ces enfants leur délivrèrent des cartes d’identité belge.
Toutefois, une circulaire ministérielle du 24 septembre 1960 et publiée au Moniteur belge le 6 octobre 1960 vint créer le trouble. En effet, par cette circulaire (1) le Ministre de la Justice M. André Lilar enjoint aux Bourgmestres de retirer la nationalité belge aux indigènes du Congo, vu que leur pays est désormais indépendant. En ce qui concerne les metis, c’est-à-dire d’après la circulaire ministérielle : « les enfants de mère indigène », ne pourront conserver la nationalité belge que s’ils sont légitimes ou légitimés par un Belge ou s'ils ont été reconnus par un Belge.
La majorité des enfants metis n’étant pas dans ce cas, on leur retira donc la nationalité belge. Ils reçurent des cartes d’identité jaune pour étranger avec parfois les nationalités « fantaisistes » de Ruandais et Urundais étant donné que ces deux pays n’étaient pas encore indépendants en 1960.
Ces cartes d’identité d’étranger créèrent des drames pour les metis issus de la colonisation. D’une part, elles n’autorisaient qu’une circulation dans les pays du Benelux et d’autre part, les metis qui quittèrent volontairement la Belgique pour rejoindre leur famille africaine se retrouvèrent soudainement « apatrides » sur le sol du continent-mère.
Heureusement des personnalités de bonnes volontés s’émurent de cette situation et intervinrent auprès du Gouvernement. C’est ainsi que fut votée la loi du 22 décembre 1961 relative à l'acquisition ou au recouvrement de la nationalité belge par les étrangers nés ou domiciliés sur le territoire de la République du Congo ou par les Congolais ayant eu en Belgique leur résidence habituelle. Cette loi ayant une valeur juridique supérieure à celle de la circulaire ministérielle l’abrogea. En son article 2, §4, la loi permettait aux personnes qui possédaient la qualité de Belge de statut congolais – mais qui n’avaient pas acquis la nationalité belge en vertu des lois métropolitaines sur la nationalité – d’acquérir la qualité de belge par option pour une certaine période.
Elle a été abrogée ultérieurement par le Code de la nationalité belge du 28 juin 1984 qui, en son article 28, §1er, prévoyait une disposition transitoire permettant à ceux qui n’avaient pas introduit de déclaration en faveur de la nationalité belge d’en introduire une dans les deux ans suivant l’entrée en vigueur dudit Code à deux conditions (art. 28, §2, Code de la nationalité belge) :

- Avoir eu sa résidence principale en Belgique durant les deux années précédant l’entrée en vigueur de ce Code.
- L’avoir maintenue jusqu’à la date d’introduction de la déclaration en faveur de la nationalité belge.
Ces deux lois ne comportant que des dispositions transitoires applicables aux Congolais de statut belge, le droit commun trouve aujourd’hui à s’appliquer aux personnes qui n’ont pas opté en temps et en heure pour la nationalité belge.
L’information à cette époque étant presque confidentielle sur les possibilités de recouvrement de la nationalité belge, beaucoup de metis ne purent bénéficier des avantages de ces deux lois.
Par ailleurs, les metis issus de la colonisation belge et résidant en Belgique étaient en fait mis sous tutelle dans les familles adoptantes, les familles d’accueil et les institutions où ils étaient placés. Notons que pour un metis légitime, légitimé ou reconnu, en cas de décès ou d’incapacité de son père belge, c’est le Conseil de sa famille belge qui avait la tutelle, même si cette famille rejetait cet enfant. D’autre part, en 1971, le Gouvernement belge arrêta ses subventions à l’APPM au prétexte que, 10 ans après les indépendances, les metis étaient dorénavant des « citoyens comme les autres belges et n’avaient donc plus besoin de protection spéciale ». Les enfants metis dépendant de l’APPM furent à partir de cette date pris en charge par les CPAS de leur lieu de résidence.
Cela ne régla pas pour autant le statut juridique de ceux qui avaient perdu la nationalité belge. Des metis récupérèrent la nationalité belge par mariage avec des citoyens belges et d’autres par la procédure coûteuse de la « naturalisation ». Plusieurs d’entre-eux durent également résoudre lors de leur mariage le casse-tête de l’absence d’un acte de naissance.


3. La question du mariage coutumier
La question du mariage coutumier, je l’évoquerai sous forme de témoignage personnel. Lors d’une discussion en 2011 avec des chercheurs de la CEGESOMA, dans le cadre de l’étude du déplacement vers la Belgique des enfants metis, j’avais déclaré que les mariages mixtes entre européens et africains étaient de fait interdits durant la période coloniale et que mon père avait été alors obligé de contracter un « mariage coutumier » avec ma mère : cela lui avait fait perdre son emploi de cadre dans la compagnie minière qui l’employait avant de pouvoir rebondir dans d’autres activités. D’après les chercheurs, il n’existait aucune interdiction officielle dans les colonies et, pour preuve, de citer le mariage légal du Capitaine Joubert avec la fille d’un Chef traditionnel congolais.
Pour ma part, je découvris, lors de recherches en 2014, que le mandat de tutelle de la Belgique sur le Ruanda-Urundi, octroyé par la SDN et confirmé par l’ONU, ordonnait l’obligation, pour la Belgique, à reconnaître les actes administratifs des autorités traditionnelles. Cela me remémora une démarche que j’avais entreprise d’une reconnaissance de noblesse belge – pour ma famille paternelle d’origine française avec un patronyme polonisé par l’Histoire – auprès du Service de la Noblesse dépendant du Service Public Fédéral des Affaires Etrangères. Cette démarche n’avait pas abouti, car le Service Public Fédéral m’avait demandé de produire l’acte de mariage de mes parents, que l’Etat colonial avait refusé de leur procurer. Rappelons que, pour être « noble » en droit de la filiation nobiliaire, il faut être un enfant « légitime », issu du mariage légal d’un noble.
Pour résoudre ce problème kafkaïen, il était possible soit d’intenter un procès en droit nobiliaire belge pour discrimination sur base de l’article 1er de la loi du 25 février 2003 qui stipule : qu’il y a discrimination directe si une différence de traitement qui manque de justification objective et raisonnable est directement fondée sur le sexe, une prétendue race, la couleur, l’ascendance, l’origine nationale ou ethnique, l’orientation sexuelle, l’état civil, la naissance, etc., soit de chercher à légaliser le mariage coutumier de mes parents et permettre ainsi, à travers un cas particulier, une évolution significative de la législation en la matière. En effet, une légalisation d’un mariage coutumier « légitime » automatiquement les enfants nés de ce mariage.
Grâce à l’assistance d’un avocat metis belgo-rwandais issu de la colonisation belge et d’un avocat rwandais, j’ai obtenu en date du 17 février 2015 un Jugement supplétif qui vous est projeté sur l’écran (2) et qui légalise enfin le mariage coutumier de mes parents daté de 1945. Un des éléments décisifs dans cette procédure juridique fut le témoignage du généalogiste des clans royaux du Rwanda qui connaissait ce mariage coutumier et le nom de la vache qui en constituait la dot : Impirimba. Comme d’autres mères de metis au Rwanda, la mienne était connue parce qu’issue de l’aristocratie rwandaise, étant cousine du Mwami (Roi) Mutara III Rudahigwa et de son épouse la Reine Rosalie Gicanda. Cela a dû jouer en notre faveur durant la procédure juridique. Ce Jugement mit fin psychologiquement à une injustice et à beaucoup de souffrances familiales et pourra, je l’espère, faire jurisprudence.


4. Conclusion
Il faut reconnaître que, malgré les aléas de leurs histoires, la plupart des metis issus de la colonisation belge ont pu globalement se reconstruire sur le sol belge. Si certains parmi nous ont hélas échoué, beaucoup d’autres – suivant le degré de soutiens reçus de leurs familles, des familles adoptives ou d’accueil, ou des éducateurs des institutions où ils étaient placés – ont pu faire des études et réussir dans la vie. Malgré une interrogation lancinante sur leurs origines africaines, ils ont pu apporter leur contribution au rayonnement de la Belgique. Je pense en particulier à M. Georges Octors, Chef d’Orchestre et le plus grand violoniste belge des temps modernes ou encore à Mme Augusta Chiwy, Infirmière belge et héroïne de la bataille des Ardennes. Je n’oublie pas tous les autres metis qui ont apporté leur contribution comme citoyens à la vie et à l’honorabilité de notre pays.
Le combat des metis issus de la colonisation belge a ouvert la voie à l’intégration des minorités visibles dans notre pays et a également favorisé l’instauration d’une Société Ouverte (Open Society) en Belgique. Il est notoire que la nouvelle génération des metis de Belgique nés de couples mixtes post-colonisation peut épanouir plus facilement ses talents que nous le pûmes. Espérons que les jeunes personnalités belges metisses telles que Jean-Paul Van Haver, dit Stromae, Laura Beyne, Miss Belgique 2012 et actuellement Présentatrice-vedette chez RTL-TVI ou encore Nafissatou Thiam, la récente médaillée d’or des Jeux Olympique de Rio, découvrent un jour notre histoire et la route que nous avons tracée pour eux.
D’autre part, concernant la douzaine de milliers de metis issus de la colonisation belge au Congo et restée auprès de leurs familles africaines à l’indépendance de ce pays, nous constatons qu’elle s’est également bien débrouillée dans son ensemble. Cela malgré les vicissitudes que traversa ce pays et qui pénalisèrent la première génération de metis à qui on déniait parfois la nationalité congolaise et dont on doutait du patriotisme. Les générations suivantes s’intégrèrent mieux et font désormais partie de la classe moyenne ou de l’élite congolaise actuelle. Toutefois, reste en permanence la frustration d’avoir été abandonnés par leurs ancêtres « biologiques » belges et de ce qu’ils clament être une ingratitude de la Belgique à leur égard. C’est ainsi qu’a été créée à Kinshasa « l’Association des enfants laissés par les Belges au Congo ». Cette Association milite pour que la Belgique reconnaisse ses responsabilités à l’égard des metis congolais issus de la colonisation belge et de leurs descendants.
En ce qui concerne le Kivu, le Rwanda et le Burundi, les orateurs précédents nous ont expliqué comment la plupart des 700 metis issus de la colonisation dans cette région, dont les 300 enfants regroupés à l’orphelinat de Save furent déplacés en Belgique. Les rares qui restèrent furent malheureusement rattrapés par la problématique « Hutus-Tutsis ». Le cas du Rwanda étant le plus emblématique. En effet, les metis issus de la colonisation belge qui sont restés au Rwanda après l’indépendance et qui ne possédaient pas de nationalité étrangère, se virent attribuer la nationalité rwandaise conformément au Code de la nationalité rwandaise de 1963.
Ils reçurent comme tous les autres Rwandais nés de parents rwandais une carte d’identité à « mention ethnique ». Cette mention n’était prévue par aucune loi. Il s’agissait donc d’une simple pratique administrative, héritée de la colonisation allemande puis du mandat belge, par laquelle l’enfant était classé dans « l’ethnie » de son père, ou bien dans celle de sa mère, au cas où son père était étranger ou inconnu.
Comme la plupart de ces metis avaient des mères classifiées comme « tutsies », ils subirent les aléas liés au groupe classifié comme « tutsi » durant la période 1962 à 1994 et eurent des destins tragiques durant le génocide de 1994, particulièrement la petite communauté metisse établie depuis 1930 à Gisenyi.
Pour finir, je souhaite aussi rappeler que le destin dramatique vécu par les metis issus de la colonisation belge, le fut plus encore par leurs mères. Lors d’une visite en famille des bâtiments de l’ancien orphelinat de Save en 2005, je fus entouré par 5 femmes âgées, qui me racontèrent s’être établies sur place depuis 1962 en attendant le retour, avant de mourir en paix, des enfants metis que les « blancs » leur avaient volés. L’AMB espère donc – via des recherches dans les archives, l’aide des Ambassades belges dans les pays des Grands-Lacs et des Gouvernement locaux – identifier les familles africaines des metis belges souhaitant renouer avec leurs origines africaines.
Mesdames et Messieurs les Parlementaires, l’AMB compte vivement sur votre appui pour mettre fin à des drames humains et à des casse-têtes juridiques et réparer ensemble, dans la justice et la dignité, les injustices de notre histoire commune afin que cette histoire retrouve toute sa dignité.
Merci à toutes et à tous de votre attention.

Métis : Avec les enfants cachés de la France coloniale

Publié le : 10/07/2020 - 14:43

Reporters © FRANCE 24

Par : Caroline DUMAY & Thaïs BROUCK

Durant la période coloniale, plusieurs milliers d’enfants issus de relations entre des colons et des Africaines sont abandonnés par leur père et arrachés à leur mère. Sur décision du gouverneur général de l’Afrique-Occidentale française, ces "métis des colonies" sont séparés du reste de la société et placés dans des orphelinats. À travers des témoignages inédits, France 24 retrace l’histoire oubliée de ces enfants cachés de la Nation, dépourvus de leur filiation et en quête de reconnaissance. Regardez notre documentaire exceptionnel de 27 minutes.

Tout a commencé en 1903, lorsque le gouverneur Ernest Roume, à la tête de l'Afrique-Occidentale française (AOF), décide la mise en place d’espaces dédiés pour les enfants nés de père français et de mère "indigène", les "bâtards de la République". Dans la colonie Côte d’Ivoire, le "Foyer des métis" voit le jour dans le majestueux ancien Palais des gouverneurs de Bingerville.

André Manket, 90 ans, en fut l’un des premiers pensionnaires. Il a les larmes aux yeux lorsqu’il raconte son kidnapping. "Ils sont venus me chercher dans mon village de pêcheurs d'Anono et m'ont emmené de force. J'avais sept ans. Ma tante était en pleurs...", témoigne le vieil homme, qui est arrivé à Bingerville entouré de deux gardes coloniaux. "On m'a dit : 'Guerard', le nom de votre père, c'est fini. Maintenant, vous prendrez le nom de votre mère." On lui a aussi donné un numéro : le 39. Ce qui signifiait qu’avant lui, il y avait 38 garçons et filles, dont le seul point commun était la couleur de leur peau, métissée.

Traumatisme

Maurice Berthet, lui, ne comprend pas. Il n’est pas Français, mais il possède pourtant des terres à Vitry-le-François, qu’il a obtenues par héritage... "Mon père ne m’a jamais abandonné ! Mais il ne savait pas comment faire. Il coupait du bois et vivait dans la forêt", explique-t-il.

L’abandon est une chose, la perte d’identité en est une autre. Pour avoir accès à Bingerville et au statut de "pupille de la Nation", il fallait se déclarer "orphelins", même quand on ne l’était pas. 

Même son de cloche pour Calile Sahily, le président de l’Association des anciens élèves de l’orphelinat et du Foyer des métis (AEFOCI). "Comment pouvait-on être hier pupilles de la Nation - et donc enfants de l’État français - et ne pas être Français aujourd’hui ? C’est une aberration !",  fait-il remarquer.

Ils ont beau être désormais âgés de plus de 80 ans, le traumatisme est encore bien vivace. "Nous étions la risée de tous. Nos mères étaient traitées comme des prostituées", explique aussi Monique Yace. "On nous traitait de bâtards, de peau grattée... Nous mettre à l’orphelinat, c’était légaliser l’abandon", ajoute, de son côté, Philippe Meyer. Tous aujourd’hui se considèrent comme des "victimes de la colonisation".

Bien éduqués, la plupart de ces métis se sont bien intégrés à la société ivoirienne. Jeanne Reinach, née Langui, est le produit de cette génération d’enfants cachés. Si elle porte le nom de l’une des familles françaises les plus riches de l’avant-guerre, elle n’a, par contre, jamais obtenu la nationalité française. Elle a dû attendre 77 ans pour apprendre que son grand-père, Théodore Reinach, était député de Savoie, membre de l’Institut de France, propriétaire de châteaux et de villas... "Nous en voulons à la France parce qu’elle n’a rien fait pour nous", confie-t-elle, amère.

"Mettre le débat sur la table"

À l’indépendance de la Côte d’ivoire, en 1960, la question de ces enfants n’a jamais été mise sur la table. "Ceux qui ont réussi à obtenir la nationalité française sont ceux qui se sont fait établir, avant leur majorité, un jugement supplétif d’acte de naissance en précisant que le père était présumé d’origine française", explique Patricia Armand, secrétaire générale de l’AEFOCI. Encore fallait-il être informé... La juriste est aussi petite-fille de colon, mais elle n’a jamais réussi à retrouver les traces de son grand père, Fernand Combaluzier, pourtant administrateur foncier.

Beaucoup d'Ivoiriens souhaitent désormais que la France s'inspire de la Belgique qui, en avril 2019, s'est officiellement excusée auprès des enfants métis nés dans ses anciennes colonies. Le mois dernier, cinq femmes métisses, nées dans le Congo colonisé, ont assigné le royaume en justice pour "crimes contre l'humanité". Elles dénoncent des enlèvements systématiques d'enfants comme elles, entre 1911 et 1960. 

La France sera-t-elle à son tour ciblée par ce type de démarche ? Auguste Miremont, ancien ministre de la Communication de Félix Houphouët-Boigny, qui a, lui aussi, grandi au Foyer des Métis, estime qu’"il est temps maintenant de mettre ce débat sereinement sur la table".

Cheikh Hamidou Kane : « L’Afrique n’existe plus, elle a été dépossédée de son espace »

LE MONDE a publié: Réflexions d’un grand témoin de notre époque: M. Cheikh Hamidou KANE

Cheikh Hamidou Kane

 L’Aventure ambiguë

cheikh hamidou kane.jpg

  • Source: : Le Monde | Le 30 décembre, 2018

     

    Cheikh Hamidou Kane : « L’Afrique n’existe plus, elle a été dépossédée de son espace »

    L’auteur sénégalais de « L’Aventure ambiguë », 90 ans, revient sur l’histoire contemporaine du continent, marquée par des questionnements et des tourments identitaires.

    C’est l’un des paradoxes de Cheikh Hamidou Kane. En cinquante-sept ans de carrière, l’écrivain sénégalais n’a publié que deux romans – L’Aventure ambiguë, en 1961, et Les Gardiens du temple, en 1995 –, devenus des classiques, traduits dans une dizaine de langues et inscrits au programme de nombreuses écoles et universités. Ils relatent le malaise des élites africaines désorientées par la colonisation française. Né en 1928 à Matam, sur les bords du fleuve Sénégal, Cheikh Hamidou Kane a traversé l’histoire contemporaine du continent, marquée par des questionnements et des tourments identitaires. Dans L’Aventure ambiguë, Samba Diallo, fils de notables peuls élevé dans la plus pure tradition coranique du pays des Diallobé – une nation fictive qui ressemble à s’y méprendre au Fouta Toro, région du nord du Sénégal –, est envoyé à « l’école des Blancs » pour y apprendre « comment on peut vaincre sans avoir raison ». Il sortira ébranlé de cette expérience intérieure d’une grande violence. La puissance de ce roman philosophique, en partie autobiographique, grand prix littéraire d’Afrique noire en 1962, reste d’actualité. L’Aventure ambiguë est l’ouvrage de référence pour qui continue de s’interroger sur les identités africaines et afrodescendantes percutées par la « rencontre » avec l’Occident. Peut-on lier les cultures africaines au legs colonial et en sortir indemne ? Comment tirer le meilleur de ce choc identitaire ? Témoin et un acteur privilégié de la marche des anciennes colonies françaises vers l’indépendance, Cheikh Hamidou Kane a été ministre sous Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf, puis haut fonctionnaire de l’Unicef dans différentes capitales africaines. Retiré de la vie publique depuis plusieurs décennies, l’écrivain consacre désormais ses journées à la prière, à l’écriture et à « l’éducation morale » de ses petits-enfants. C’est dans sa villa dakaroise qu’il a reçu Le Monde Afrique. A 90 ans, il a la démarche hésitante, mais son regard sur le monde reste pétillant. Il s’est confié sur son enfance marquée par le racisme, sa fascination pour la culture française, ses rêves panafricanistes et avoue avoir adoré le dernier opus des studios Marvel, Black Panther.

    Vous venez de fêter vos 90 ans. Comment vous portez-vous ?

    Cheikh Hamidou Kane: J’ai les handicaps de mon âge. Mon acuité auditive et visuelle s’est affaiblie. Pour le reste, Dieu merci, je vais bien.

    Vous êtes né pendant la colonisation au Sénégal. Comment, enfant, ressentiez-vous la présence du colon français ?

    Lorsque j’étais enfant, j’ai connu l’humiliation que peuvent ressentir tous ceux qui voulaient accéder au même niveau de connaissance que les Blancs alors même qu’ils avaient en face d’eux des gens qui les méprisaient. Les colons ont tenté de nous faire admettre que nous étions des êtres inférieurs, incapables de faire autant sinon mieux qu’eux. Ils ne s’opposaient pas au fait que des « indigènes » aillent dans leurs écoles, mais ils nourrissaient pour nous des ambitions limitées. Nous étions programmés pour devenir des auxiliaires, pas au-delà ! On pouvait ainsi devenir infirmier, mais pas docteur en médecine.

    Vous avez refusé d’obtempérer. Vous vouliez devenir philosophe…

    C’était mon choix depuis l’école primaire. Dans l’esprit des enseignants blancs, c’était inconcevable. J’ai dû, tout au long de ma scolarité, me battre. En 1942, j’ai voulu entrer au lycée Faidherbe de Saint-Louis, qui était en principe réservé aux fils de colons. Seuls quelques Africains fortunés pouvaient y envoyer leurs enfants. Ma famille n’était pas nantie. J’ai donc fini à l’Ecole des fils de chefs, qu’on appelait aussi l’école des otages, où étaient envoyés les fils de notables. On nous y apprenait à devenir de parfaits chefs de canton.

    Vous êtes l’un des premiers fils de notables religieux à avoir été envoyé à l’école française. Pourquoi votre famille a-t-elle fait ce choix ?

    C’est grâce à l’action de l’un de mes ancêtres, Alpha Ciré Diallo, un homme exceptionnel. Alors que le débat entre les pro- et anti-école française faisait rage dans son village, il fut l’un des premiers à avoir compris qu’il n’y avait pas de risque à scolariser ses enfants. A condition, disait-il, de les éduquer soigneusement d’abord dans l’islam et les valeurs peules que sont le sens de l’honneur, la pratique religieuse et la solidarité familiale : « Rewdé Allah, djokude endaam » en peul. Cette double éducation faisait, selon lui, office de protection et d’armure. Ses propres enfants ont fini dans l’armée coloniale, d’autres sont devenus interprètes. Il avait confiance en son héritage culturel. Je suis le produit du combat de cet ancêtre visionnaire.

    A l’école, vous vous faites remarquer…
    Nous étions sept « fils de chefs » dans ma promotion. A la fin du cycle d’études, nous devions passer par la ferme agricole et devenir chefs de canton. J’ai refusé d’y aller. Je rêvais toujours du lycée Faidherbe. Furieux, le directeur de l’école a convoqué l’un de mes oncles qui était greffier. Il lui a expliqué sans ménagement et avec un ton méprisant que mes ambitions étaient prétentieuses. Que l’on ne m’avait pas formé pour ça ! Mais j’ai tenu bon. Mon père m’a inscrit au lycée Van Vollenhoven, à Dakar. Mes condisciples africains m’ont désigné pour être leur représentant au conseil de discipline du lycée, composé en majorité de Blancs.

    Comment vous êtes-vous retrouvé à la Sorbonne ?

    Je rêvais d’être professeur de philosophie, la Sorbonne était donc un objectif. Mais je n’avais pas les moyens d’aller en France. J’ai donc écrit au gouverneur du Sénégal, qui pour la première fois était un Noir antillais, pour obtenir une bourse. Et il me l’a octroyée ! J’ai intégré une classe préparatoire au lycée Louis-le-Grand, puis j’ai étudié la philosophie et le droit à la Sorbonne.

    Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans cette prestigieuse université ?
    J’ai eu confirmation des qualités fondamentales de la civilisation occidentale, occultées jusque-là à mes yeux par la face sombre du colonialisme. Je subodorais ces qualités, mais le comportement brutal des colons au Sénégal m’en faisait douter. Mes condisciples et mes professeurs français étaient d’une grande ouverture d’esprit. Ma foi musulmane s’est aussi nourrie des débats philosophiques de l’époque – l’existentialisme de Jean-Paul Sartre et la pensée chrétienne de Paul Ricœur.

    Paris était aussi au cœur des luttes indépendantistes et des mouvements littéraires comme la négritude. Où vous situiez-vous ?

    J’ai dû, comme tout étudiant africain à l’époque, militer, prendre position. Les leaders plus populaires étaient les marxistes du Parti africain de l’indépendance, de Majhemout Diop, et les nationalistes regroupés autour de Cheikh Anta Diop. Je n’étais pas partisan du marxisme, incompatible avec ma foi religieuse. J’étais plus sensible aux idées de Cheikh Anta Diop, que je connaissais personnellement, mais son parti était alors peu structuré. C’est finalement Joseph Ki-Zerbo qui m’a séduit. Ce Voltaïque [de Haute-Volta, ancienne appellation du Burkina Faso], catholique, professeur agrégé d’histoire, était très actif dans le mouvement des jeunesses chrétiennes de France. Il a créé le Mouvement de libération nationale. J’adhérais entièrement aux mots d’ordre, qui étaient indépendance de l’Afrique, Etats-Unis d’Afrique et socialisme africain.

    La négritude d’Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor et Léon-Gontran Damas représentait aussi un courant d’idée puissant, mais vous vous en teniez à distance. Pourquoi ?
    J’adhérais à la révolte qu’exprimait ce mouvement. Le Cahier d’un retour au pays natal de Césaire, que j’ai lu à 16 ans, m’a profondément marqué. Cependant j’étais moins convaincu par la position de Senghor, moins radicale dans la dénonciation du mépris de l’homme blanc pour les Noirs.

    Dans L’Aventure ambiguë, les habitants du pays des Diallobé craignent que leurs enfants perdent leur identité en allant à l’école des Blancs. Ils se demandent si « ce qu’ils apprendront vaut ce qu’ils oublieront ». Avez-vous aujourd’hui une réponse à cette question fondamentale ?
    Je la donne dans mon second roman, Les Gardiens du temple, paru en 1995 mais rédigé dès 1963. Le personnage principal, qui est en quelque sorte Samba Diallo ressuscité, a reçu une solide éducation religieuse musulmane et est enraciné dans les valeurs des Diallobé. Après de brillantes études à l’école française, il devient ingénieur agronome. Il a appris les techniques modernes indispensables pour construire le nouveau pays indépendant. Il a donc réussi à allier sa culture religieuse traditionnelle à ce qu’il a appris au contact de la civilisation occidentale.

    Pourtant, l’aventure de Samba Diallo, tiraillé entre sa terre natale et l’Occident, finit mal. Comment interpréter, au plan symbolique, la mort du héros de votre roman ?

    Certains lecteurs ont cru à tort que je voulais, par cette mort, montrer l’impossible conciliation entre nos cultures africaines et la civilisation occidentale, que l’issue ne pouvait être que tragique. Il n’en est rien. J’ai fait mourir Samba Diallo des mains du Fou pour montrer à quel point l’itinéraire des Africains à la rencontre de l’Occident était risqué. Ce parcours peut être contrarié par des extrémismes religieux et culturels. Je pressentais, déjà à l’époque, que certains pouvaient vouloir imposer leur façon de croire et de pratiquer la religion, au besoin par la force. C’est ce que représente le Fou dans L’Aventure ambiguë.

    Vous avez vous-même vécu cette aventure pour le moins ambiguë entre l’Afrique et la France. Qu’en avez-vous retiré ?
    J’ai survécu à ce périple. J’ai appris que, contrairement à ce que voulait faire croire le colon raciste, les cultures africaines et européennes ont beaucoup de choses en commun. Ma génération et celle de Senghor ont prouvé qu’on pouvait accéder au niveau le plus élevé du savoir des Blancs. Après mes études, je suis revenu sur le continent avec l’espoir d’un monde partagé et équitable. C’est ce qu’exprime le personnage du Chevalier à la dalmatique dans le roman : « Nous les Noirs, nous les Arabes, nous les Asiatiques, c’est un monde qui est possible. Nous devons l’édifier. Il ne faut pas que ce soit un monde imaginé, dirigé par le seul Occident. »

    Près de soixante ans après les indépendances, le monde de partage n’a toujours pas surgi…

    Il faut poursuivre le travail entamé. Rome n’a pas été construite en un jour ! L’Afrique, comme disait Ki-Zerbo, a été victime d’une dépossession de son espace – ses empires ont été dépecés en une cinquantaine de territoires, au profit des colonisateurs. L’Afrique n’existe plus. Elle a perdu son initiative politique et son identité endogène. A l’école, ce sont les langues du colon qui sont enseignées. La législation, l’organisation sociale et familiale sont calquées sur celles de l’Occident. Il faut donc que l’Afrique redevienne elle-même en se basant sur les structures antérieures à la colonisation.Par exemple, la charte du Mandé, élaborée en 1236 dans l’empire du Mali, peut redéfinir notre organisation et nos institutions. Elle régit les relations familiales, prône les valeurs de respect, de solidarité et permet la diversité. Il existait une vraie citoyenneté ouest-africaine dans l’empire du Mali. Les habitants pouvaient circuler d’un endroit à un autre en changeant de patronyme. Un Mandingue qui s’appelle Diarra, une fois chez les Wolofs, prenait le nom de Ndiaye ou Diatta. Cela permettait une coexistence harmonieuse entre les communautés. Nous pouvons reprendre ce modèle, pas besoin de chercher ailleurs.

    Le passé glorieux que vous décrivez a disparu. N’est-il pas utopique de vouloir y revenir ?
    Je ne préconise pas un retour au passé, mais un recours au passé. Nous devons nous inspirer de l’héritage de nos ancêtres. La réappropriation de notre identité endogène passe par cette démarche.

    C’est aussi de la responsabilité des dirigeants africains…

    Les jeunes doivent au plus vite s’emparer de ce sujet. Ils doivent se battre pour créer au sud du Sahara un espace géopolitique et économique autonome. Et l’imposer aux dirigeants actuels qui ne comprennent pas que leurs pouvoirs ne sont, comme le disait Senghor quand il luttait contre la balkanisation, « que des joujoux et des sucettes ». Quel poids peut avoir le continent dans l’économie mondiale s’il est divisé, morcelé ? L’Afrique est le continent le plus riche en ressources naturelles dont a besoin l’ensemble de la planète. Comment voulez-vous que nous les défendions et que nous les échangions à leur juste prix si nous le faisons en ordre dispersé ? S’il y avait une autorité commune pour gérer par exemple les ressources pétrolières, l’Afrique aurait plus de poids sur la scène internationale.

    Vous avez été plusieurs fois ministre. Pourquoi votre génération n’a pas réussi à créer cette unité africaine ?

    Le colonisateur a bien manœuvré. Par exemple, Félix Houphouët-Boigny, fervent opposant au travail forcé avant l’indépendance, représentait une menace pour la France. Il s’était allié aux communistes français au Parlement, où il siégeait comme représentant de la Côte d’Ivoire. Il a commencé à mener un combat qui aurait pu aboutir à une guerre aussi meurtrière qu’en Algérie ou au Vietnam. Les Français l’ont alors retourné en lui promettant la présidence d’une Côte d’Ivoire autonome. Il a reçu les premiers honneurs à Paris en acceptant un strapontin de ministre d’Etat. Puis, en octroyant l’indépendance séparément aux treize territoires membres de l’AOF [Afrique occidentale française] et de l’AEF [Afrique équatoriale française], le colonisateur a fait disparaître des ensembles qui auraient pu servir de base à l’édification des Etats-Unis d’Afrique. Les Africains se sont laissés prendre au piège.

    Que vous inspire le climat politique délétère au Sénégal, marqué par une forte contestation du régime du président Macky Sall ?
    Malgré les tensions actuelles, il faut savoir reconnaître les mérites de « l’exception sénégalaise ». La coexistence entre l’islam, le christianisme et les autres confessions est harmonieuse. Et c’est grâce à un islam imprégné de valeurs traditionnelles. Le Sénégal jouit d’une culture démocratique ancienne. Depuis Blaise Diagne [premier député élu à la Chambre des députés français en 1914], nous votons. Depuis plus d’un siècle, les Sénégalais savent ce qu’est un parti politique, une élection, le choix des leaders politiques.

    Vous écrivez toujours ?
    Je travaille à un projet qui me tient à cœur depuis un moment. Je veux retracer l’épopée de l’empire du Mali fondé par Soundjata Keïta. Elle a donné naissance à la charte du Mandé. J’aimerais rappeler cette page d’histoire à la jeunesse africaine et au monde. J’ai réuni autour du projet des artistes comme Youssou Ndour, des intellectuels, des écrivains, des griots traditionnels ressortissants de l’espace de l’ancien empire du Mali. Je veux faire un film d’animation avec des effets spéciaux pour illustrer l’univers mystique de l’empereur Soundjata Keïta. Selon la tradition, il avait des pouvoirs magiques comme le don d’ubiquité. Il pouvait être à plusieurs endroits en même temps. J’ai vu quelques films, dont récemment Black Panther, qui m’ont fait penser que cela était faisable.

    Vous avez aimé Black Panther ?

    J’ai adoré l’idée d’un royaume africain puissant avec ses propres paradigmes. La voix de Baaba Maal [chanteur sénégalais] est parfaitement utilisée. Maintenant que je vais mieux, j’espère pouvoir aller au bout de mon projet.

     

    Auteur: Propos recueillis par Coumba Kane - Le Monde