Banque et assurance : Ces pratiques qui révoltent les Sénégalais

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Banque et assurance : Ces pratiques qui révoltent les Sénégalais

Par: Babacar WILLANE - Seneweb.com | SENEWEB - 15 février 2021

Les Banques au Sénégal

Les services offerts aux Sénégalais par les banques et sociétés d’assurance ne sont pas toujours des meilleurs. Les manquements sont listés dans le rapport 2020 de l’Oqsf.

Les banques ont beaucoup d’efforts à faire pour que le Sénégal puisse dépasser ses 20% de taux de bancarisation. En effet, les Sénégalais ne manquent pas de griefs à l'encontre des banques, mais aussi de la microfinance et des sociétés d’assurance. C’est ce qui ressort du rapport 2020 de l’Observatoire de la qualité des services financiers (Oqsf), dirigé par le banquier Habib Ndao. Durant cette année, l’Oqsf a reçu 503 dossiers de médiation dont 347 pour les banques et Système financier décentralisé (Sfd) appelé microfinance et 156 pour les assurances.

Dans le secteur bancaire, on note, entre autres manquements, l’insuffisance des informations liées aux droits et obligations du client au moment de l’ouverture des comptes et durant tout son fonctionnement. Mais il se pose surtout le problème de la mobilité bancaire des clients. Cette problématique est liée, d’après le rapport, « au coût jugé élevé de la délivrance des attestations d’engagement et de non engagement par les banques et les SFD ; aux pénalités appliquées en cas de remboursement anticipé de crédit ; aux lenteurs concernant la délivrance aux clients demandeurs d’attestations d’engagement et d’attestation de non engagement ».

Autant d’obstacles que les banques mettent devant les clients pour empêcher la mobilité, alors que depuis le 1er octobre 2014, la Bceao a rendu gratuits 19 services bancaires parmi lesquels la clôture de compte. Un problème de confiance qui pourrait expliquer aussi le faible niveau de consentement préalable des clients.

Les dirigeants des banques, quant à eux, se plaignent du « volume relativement élevé des créances en souffrance » et du « coût jugé exorbitant des frais de droits de nantissement notamment les formalités d’actes notariés ».

La mauvaise volonté des assureurs

Dans les Sfd, c’est surtout le coût exorbitant du crédit et le niveau d’éducation financière des cibles jugé faible qui posent problème. Il s’y ajoute le surendettement et le papillonnage chez certains segments de clients, sans oublier les méthodes de recouvrement des gros calibres du sous-secteur, jugées inappropriées.

Dans le secteur de l’assurance, on dirait une mauvaise volonté de la part des assureurs. Car au-delà de la qualité de l’information avant le contrat, jugée insuffisante, on note des lenteurs dans la nomination des experts, « les retards récurrents dans le règlement des demandes de rachat formulées par les assurés ; le non-paiement à bonne date des capitaux échus par l’assureur de la rente scolaire ». Le tout sans compter la contestation des rapports des experts par les assurés et l’incapacité de l’assureur d’honorer ses engagements au terme du contrat, « malgré de multiples relances de la part de l’assuré ».

Face à tous ces écueils, l’Oqsf formule, entre autres recommandations, le renforcement de la transparence de l’information sur le crédit du côté des banques, la levée des entraves à la mobilité des usagers, « l’amélioration de la qualité du réseau des GAB en raison des défaillances récurrentes notées notamment en période de rush ».

La contribution des banques

Habib Ndao et Cie veulent également la mise à disposition des conditions tarifaires à l’Oqsf et aux associations de consommateurs ainsi qu’une meilleure collaboration des banques dans le traitement des conflits. Quant au secteur de l’assurance, les recommandations se résument en deux mots : transparence et diligence du fait de l’opacité et des lenteurs susmentionnées.

Malgré les manquements, les banques ont joué un rôle important dans l’accompagnement de l’économie sénégalaise face aux impacts de Covid-19. Parmi les actions phares des banques, « les mesures de reports d’échéances pour la clientèle impactée », que ce soit les ménages ou les entreprises. Un soutien possible grâce aux mesures prises par la Bceao et l’Etat du Sénégal à travers le fonds force Covid-19 doté de 1000 milliards. L’Etat a accordé des facilités de crédit et procédé à des remises fiscales, entre autres mesures, pour rendre l’économie sénégalaise résiliente.

En outre, souligne Habib Ndao, secrétaire exécutif de l’Oqsf, l’Etat du Sénégal continue à multiplier les initiatives pour renforcer le secteur financier. On note à ce point, la « concertation pour l’allégement des taux d’intérêt débiteurs, élaboration d’une stratégie nationale de l’inclusion financière, mise en place d’un groupe de travail sur l’éducation financière de masse, projet de mutualisation de l’offre de services financiers… ».

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Franc Cfa, le silence complice des progressistes français

Franc Cfa, le silence complice des progressistes français

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Par: SenePlus - Seneweb.com | 04 février, 2021

Franc Cfa, le silence complice des progressistes français

À quelques rares exceptions près, les progressistes français ne se sont pas intéressés aux récentes manœuvres du pouvoir macroniste qui visent à prolonger la durée de vie du franc CFA. Leur silence permet la poursuite de la logique coloniale de la France en Afrique.

Après l’avoir annoncée à grand renfort de publicité fin 2019, le pouvoir macroniste a soumis ces derniers mois aux députés et aux sénateurs une « réforme » du franc CFA d’Afrique de l’Ouest. Le débat était capital pour l’avenir de 14 pays africains, dont le destin reste orienté par cette monnaie coloniale. Il l’était d’autant plus que les changements proposés étaient mineurs.

Les progressistes français auraient pu saisir cette occasion pour soutenir concrètement ceux qui, en Afrique, aspirent à une indépendance complète et militent pour la fin de la domination monétaire de la France. À quelques rares exceptions près, ils ne l’ont pas fait.

Dans l’indifférence quasi générale, la « réforme » a été adoptée par l’Assemblée nationale le 9 décembre 2020, puis par le Sénat le 28 janvier.

Inertie de l’opinion publique et des médias

Souvenons-nous des observations de Mongo Beti formulées il y a plusieurs décennies : c’est parce que « l’opinion publique » française « et en premier lieu la presse » sont restées inertes que le pouvoir gaulliste a pu briser l’élan des progressistes camerounais et n’octroyer qu’un semblant d’indépendance au Cameroun en 1960 (Main basse sur le Cameroun, autopsie d’une indépendance, Maspero, 1972).

L’écrivain anti-colonialiste dénonçait la solidarité à géométrie variable des intellectuels français, lesquels ménageaient toujours les intérêts français en Afrique : alors qu’ils s’engageaient avec passion aux côtés des gauches d’Amérique latine ou d’Europe de l’Est pour dénoncer la dictature sévissant dans leurs pays, ils ne manifestaient aucune solidarité à l’égard des Camerounais en lutte contre un régime tyrannique installé et soutenu par Paris.

Le même phénomène est manifestement toujours à l’œuvre à propos du franc CFA, créé par un décret du général de Gaulle en 1945 et placé depuis sous la tutelle du Trésor français : ces dernières années, son caractère rétrograde et inique n’a suscité que peu d’intérêt et d’émoi en France.

Ainsi, les économistes hétérodoxes et les politistes français qui se sont emparé de la question se comptent sur les doigts d’une main. Les activistes, dont les militants de l’association Survie, sont eux aussi peu nombreux. Les quelques médias dits « de gauche » ont pour leur part assuré le service minimum. Certains d’entre eux ont même relayé en mai 2020 l’idée que la France « actait » officiellement la « fin du franc CFA », prenant pour argent comptant le récit officiel sur la réforme du président Emmanuel Macron.

La vérité est pourtant tout autre et n’est pas difficile à établir : le système CFA ne fait l’objet que de légères modifications de nature symbolique pour les huit États qui utilisent le franc CFA en Afrique de l’Ouest (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo), et il demeure inchangé pour les six pays d’Afrique centrale qui l’ont en partage (Cameroun, Congo, Gabon, Guinée équatoriale, République centrafricaine, Tchad). Tout ceci apparaît clairement dans les rapports et compte-rendus des débats parlementaires de ces derniers mois.

Il n’y a guère que des élus communistes, à l’Assemblée nationale et au Sénat, qui ont vraiment porté la contradiction à un gouvernement déterminé à préserver un dispositif décrié partout dans le monde, en mettant en exergue devant leurs collègues les limites et faux-semblants de la pseudo « réforme » du président Macron. Ils ont fait également des efforts de communication hors des hémicycles parlementaires. Mais ils n’ont pas réussi à briser le mur d’indifférence érigé autour du franc CFA depuis 75 ans et soutenu par toutes les couches de la société française – consciemment ou pas.

Un système appauvrissant

Or les enjeux sont cruciaux et les raisons de s’indigner sont nombreuses.

Le franc CFA est plus qu’une incongruité, c’est une seringue plantée dans les veines des pays africains qui vampirise leurs ressources. Il entretient un système colonial qui n’existe nulle part ailleurs, et sa persistance garantit celle de la pauvreté et de ses expressions multiples – dont l’émigration forcée vers la Méditerranée.

L’ancrage du franc CFA à l’euro, monnaie forte, pénalise en effet la compétitivité-prix des productions des pays qui l’utilisent, favorisant des économies rentières portées sur la consommation de marchandises importées, au détriment d’une politique axée sur l’augmentation des capacités de production nationales. À cause de la parité fixe avec l’euro, ces États ne peuvent pas se servir du taux de change en cas de crise économique et sont alors obligés de réduire leurs dépenses publiques.

Le mécanisme pousse par ailleurs les banques centrales de la zone franc à limiter les crédits bancaires qu’elles accordent aux ménages, aux entreprises et aux États. Conséquence, ces derniers voient leurs dynamiques productives paralysées et sont contraints d’emprunter sur les marchés financiers internationaux, à des taux élevés, pour financer leur développement. Quant au principe de libre transfert, l’un des piliers du fonctionnement du système CFA, il facilite des sorties colossales de capitaux.

Au bout du compte, les pays de la zone franc se trouvent enfermés dans un rôle de producteurs de matières premières et de consommateurs de produits importés. Le franc CFA contribue ainsi à l’augmentation du chômage, de la misère, de l’émigration dite « illégale »... Ce n’est sans doute pas un hasard si la plupart des personnes secourues en janvier 2021 par SOS Méditerranée étaient originaires de pays de la zone franc, dont le Mali (certes en guerre), la Côte d’Ivoire (qui n’est pas en guerre) et le Sénégal (pas en guerre non plus). Sur quatorze États membres de la zone franc, neuf sont aujourd’hui classés parmi les « pays les moins avancés » (PMA).

Pas de démocratie

L’hypocrisie des tenants du système CFA devrait aussi faire réagir tous ceux qui se préoccupent de démocratie, d’équité, de justice. Rendez-vous compte : la France garde son emprise sur le franc CFA sous le prétexte qu’elle joue un rôle de « garant », mais ce rôle est en réalité fictif !

Le président malien Modibo Keita l’a dit publiquement en 1962 (« La France ne garantit le franc CFA que parce qu’elle sait que cette garantie ne jouera pas effectivement »), le journaliste français Paul Fabra l’a écrit en 1972 dans Le Monde dans un article intitulé « Zone franc ou zone de pauvreté ? », et cette réalité a été rappelée à plusieurs reprises lors des derniers débats parlementaires. Au cours d’une séance de la commission des finances de l’Assemblée nationale en septembre 2020, un député a ainsi expliqué que la « garantie » française n’avait pas été activée depuis au moins 1994 et que tout était fait pour qu’elle ne le soit plus.

De plus, Paris gère le système dans l’opacité. Il suffit de lire le récent rapport de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale sur le projet de réforme, écrit par un député LREM, pour s’en rendre compte. « L’annonce du 21 décembre 2019 à Abidjan, par les présidents français Emmanuel Macron et ivoirien Alassane Ouattara, de la réforme monétaire a été une surprise pour tout le monde – élus, opérateurs économiques, banque centrale et population », note ce texte, parlant d’un « accord négocié dans le plus grand secret par une poignée de personnes à Paris et à Abidjan ».

Les dirigeants et citoyens des pays concernés par la réforme ont été ainsi mis devant le fait accompli par les présidents Macron et Ouattara. Ceux des États de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest), dont ils font aussi partie, n’ont pu que constater la volonté de Paris de torpiller leur propre projet de monnaie commune (c’est l’un des trois objectifs non avoués de la réforme, les deux autres visant à réduire les critiques et à faire faire quelques économies au Trésor français).

Quant à la suite du processus d’adoption de cette « réforme » précipitée, elle est, elle aussi, stupéfiante, comme l’ont fait remarquer le sénateur communiste Pierre Laurent et le député communiste Jean-Paul Lecoq. Ce dernier a souligné devant ses collègues de l’Assemblée nationale combien il était aberrant et suspect que la France soit « le premier pays à ratifier cet accord, alors qu’en toute logique elle aurait dû attendre que les pays directement concernés l’aient fait d’abord ».

M. Lecoq a dû rappeler que la monnaie est une « institution politique et économique absolument fondamentale, puisque c’est elle qui permet à une zone de déterminer et de piloter son économie en se fixant des objectifs de développement ».

Toutes ces manœuvres du gouvernement pour prolonger la durée de vie du franc CFA (on peut ajouter que la « réforme » a été en partie appliquée avant même d’être soumise aux parlements français et africains) et la fiction organisée autour de la soi-disant « garantie » française n’intéressent donc pas les médias.

Sans gêne, la France officielle continue par conséquent d’imposer sa volonté aux autres (pour sauvegarder évidemment ses propres intérêts et ceux des entreprises françaises qui opèrent sur le continent et sont les premières bénéficiaires du système).

Les observateurs étrangers choqués

Ailleurs, les réactions sont très différentes : les journalistes, économistes et politistes des autres pays occidentaux sont choqués lorsqu’ils constatent que le franc CFA existe encore, soixante ans après les indépendances, et qu’il fonctionne sur la base des principes posés durant la période coloniale. En général, ils n’ont pas peur de le qualifier de « colonialiste », « impérialiste », « désastreux », « système d’exploitation », etc.

Dans un article publié en décembre 2020, le journaliste espagnol Jaume Portell Caño identifie le franc CFA comme l’une des cinq principales causes du phénomène migratoire partant du Sénégal vers l’Europe, une approche systémique que l’on trouve rarement dans la presse française.

Les Africains anglophones regardent eux aussi avec effarement cette domination monétaire française sur leurs voisins francophones. En 2018, la célèbre écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie déclarait : « Je vois beaucoup de différences entre les mondes anglophone et francophone, dans l’occupation de l'espace en Afrique. Le franc CFA rattaché au franc français (aujourd’hui l’euro, ndlr), par exemple, me paraît complètement rétrograde. »

Le changement ne viendra pas des dirigeants africains, soumis à la France

Le fait que les relations de la France avec les pays de la zone franc soient autant viciées et malsaines est l’autre raison qui devrait interpeler les progressistes français. Car le changement ne viendra pas des dirigeants africains : parce qu’ils sont pour la plupart redevables envers les autorités françaises (qui les ont bien souvent aidés à conquérir le pouvoir et à s’y maintenir durablement) ou craignent des représailles, ils ne prendront pas le risque de déplaire à Paris. Ils ne bougeront pas non plus parce qu’ils font généralement partie de la petite élite africaine qui tire quelques avantages du système CFA.

C’est pourquoi les activistes, économistes, politiques, journalistes et citoyens des pays africains qui réclament l’abolition du franc CFA depuis plusieurs décennies ont besoin que leurs collègues français et européens se mobilisent.

Le franc CFA n’est pas une question annexe ou exotique qui ne concernerait que les pays africains, qu’il faudrait laisser aux fonctionnaires de Bercy ou aux lobbies françafricains, et garder reléguée dans les bas-fonds de l’actualité. Il est la clé de voûte de la domination que la France continue d’exercer sur des États formellement indépendants.

Tant que l’ensemble des progressistes français s’en désintéresseront, ils conforteront par leur silence l’État français dans son choix de poursuivre sa logique coloniale en Afrique.

Pour en savoir plus sur le franc CFA : L’arme invisible de la Françafrique, une histoire du franc CFA, Fanny Pigeaud et Ndongo Samba Sylla (La Découverte, 2018). En anglais : Africa's Last Colonial Currency, The CFA Franc Story, Fanny Pigeaud & Ndongo Samba Sylla (Pluto Press, février 2021).